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ce bordereau a été versé dans l’affaire Esterhazv, nous désirerions avoir l'opinion de M. Teyssonnières sur les particularités qu'il présente, sur cette écriture, sur son expertise et sur les différents points dans son examen.

M. le Président. — Ne parlons pas de Dreyfus. (Au témoin) Donnez les explications sur ce bordereau comme s’il s’appliquait à l'affaire Esterhazy; parlez simplement de l’écriture

M. Teyssonnières. — J'ai eu l’occasion de voir l’écriture d'Esterhazy, comme j'ai eu l’occasion de voir le bordereau lui-même, et voici dans quelles circonstances...

Je suis obligé, tout d’abord, d’expliquer une situation toute particulière qui m’a été faite dans cette affaire-là. lorsque M. Trarieux a été nommé Ministre de la justice, j’avais l’avantage de connaître M. Trarieux depuis une vingtaine d'année; j'ai alors prié M. Descubes, député, de vouloir bien intercéder auprès de M. le Ministre de la justice et l’informer de la situation qui m'avait été faite précisément à l’occasion de l’affaire Dreyfus, où j’étais expert. M. Descubes expliqua à M. Trarieux, dont je connaissais l’amour de la justice et de l’équité, ceci : c'est que dix jours après que j’eus déposé mon rapport, je fus rayé de la liste des experts.

C’est dans ces douloureuses conditions que j’ai été obligé de me présenter devant le Conseil de guerre, et la première chose qui fut dite, c'est que j'étais un expert rejeté de la justice et que cela devait fatalement infirmer en grande partie ma déposition. Il restait bien dans mon rapport qui avait été fait dans les conditions voulues, c'est-à-dire qu'à ce moment-là j’étais réellement expert, et comme Me Demange prétendait qu’à ce moment-là, je ne l'étais plus, j'ai voulu expliquer devant le Conseil de guerre la situation qui m’avait été faite. Alors, M. Maurel dit : « C’est bien, faites votre déposition, nous sommes fixés. »

M. le Président. — M. Maurel, c'était le Président du Conseil de Guerre?

M. Teyssonnières. — Oui, monsieur le Président.

M. le Président. — En 1894?

M. Teyssonnières. — Oui!… J’avais apporté sur moi des certificats que les magistrats ne délivrent pas ordinairement, parce que j'ai appris plus tard qu’effectivement, ni la magistrature assise, ni la magistrature debout ne délivrent jamais de certificats aux experts. Néanmoins, comme j’avais quitté Bordeaux dans des circonstances encore très douloureuses, mais qui ne touchaient en rien l’affaire, — c’était la mort qui avait fauché autour de moi, — je vins à Paris à peu près ruiné par une série de malheurs. Les avocats, les avoués, les magistrats, la Cour, tout le monde s'empressa de me délivrer des certificats constatant que j'avais rempli pendant vingt ans mes fonctions d'expert avec la plus grande honorabilité, la plus grande indépendance et surtout la plus grande probité.

J'exhibai ces deux certificats, l’un signé par vingt-cinq