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ture sinistrogyre, les courbes et les boucles sont à gauche, tandis que dans l’écriture dextrogyre, les courbes et les boucles sont à droite. Je vous avoue qu’aujourd’hui il me serait aussi impossible qu’avant cette leçon, de reconnaître une écriture sinistrogyre d’une écriture dextrogyre.

Alors je dis à M. Bertillon : « Eh bien! quand vous avez comparé la pièce incriminée et l’écriture de l’accusé, vous avez sans doute constaté que les deux pièces étaient d’une écriture sinistrogyre? »

— « Pas du tout, dit M. Bertillon, l’écriture de l’accusé était dextrogyre, l’écriture du document était sinistrogyre; mais j’ai reconnu, à certaines contractions de la plume, que l’accusé avait changé son écriture dextrogyre en écriture sinistrogyre. »

Alors, je lui dis : « Ce n’est donc pas sur une identité d'écriture que vous avez constaté que la pièce incriminée venait de l’accusé, mais sur une divergence d’écriture? » Il me dit: « Oui! »

Je lui ai répondu que j’étais surpris qu'il eût produit une pareille affirmation sur une divergence d’écriture.

Il me dit alors : — « Mais, pardon! moi, je n’ai pas fait l'instruction; j’avais proposé qu’on employât d’autres moyens; j’avais dit, par exemple, qu’on pouvait mettre une composition chimique dans l’encrier de l’accusé et, si on avait ensuite retrouvé une pièce avec un réactif chimique, on aurait pu constater que cette pièce venait de l’encrier. J’avais encore, disait-il, indiqué quatre ou cinq autres moyens de déterminer s’il y avait des probabilités pour que ce fût l’accusé qui fût bien le véritable coupable, mais on n’a pas suivi mes conseils : moi, j’ai donne mon opinion et ma conviction; j’ai déclaré qu’une pièce écrite d’une écriture sinistrogyre devait venir d’un homme qui avait une écriture dextrogyre, et l’accusation n’a pas suivi les demandes que je lui avais faites. »

Voilà, monsieur le Président, ce que j’avais a répondre à la question de Me Labori.

M. le Président. — Avez-vous d’autres questions?

Me Labori. — Monsieur le Président, je voudrais demander à M. Yves Guyot quelle est son opinion sur l’affaire Esterhazy ?

M. Yves Guyot. — Monsieur le défenseur, mon opinion sur l’affaire Esterhazy est connue. Mais, puisque vous me posez cette question, je me permettrai de donner l’opinion d’autres personnes.

Messieurs, il faut bien dire que j’ai une opinion très nette pour mon compte, mais cette opinion je la partage avec l’élite..., (Murmures) oui, oui, parfaitement!... avec l’élite intellectuelle de la France; et, en dehors des noms que vous avez trouvés sur les listes, il y a une foule de personnes qui n’ont pas manifesté leur opinion parce que, dans un pays centralisé comme la France, il y a beaucoup de personnes qui sont retenues par diverses considérations, et n’osent affirmer librement leurs convictions.