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nalistes et, alors, je lui ai dit: « Comment pouvez-vous encore marcher derrière cet homme, après la publication des lettres du Figaro ? » Il m’a répondu: « Nous pouvons d’autant moins marcher derrière lui que, lorsqu’il est venu à la Libre Parole, il a manifesté un trouble singulier en voyant le bordereau du Matin: il s’était senti perdu. A partir de ce moment-là, moi qui étais et qui reste convaincu de la culpabilité de Dreyfus, j’ai dit à mes amis de la Libre Parole: « En tout cas, nous ne marchons pas derrière Esterhazy. »

Voilà, messieurs, des affirmations précises et, monsieur le Président, puisque je n’étais pas là tout à l’heure au moment où il a été donné connaissance du télégramme de M. Papillaud, il me sera permis de faire remarquer à MM. les jurés dans quelles conditions singulières ce démenti a été obtenu. Pour faciliter à M. Papillaud le démenti de sa déclaration, on lui a télégraphié une version inexacte de ma déposition. La Libre Parole reproduit ce matin le télégramme qu’on a envoyé à M. Papillaud; or, dans ce télégramme, il est dit que j’ai affirmé que M. Esterhazy avait déclaré à Papillaud: Je me sens perdu. Ce n’est pas là ce que j’ai dit. J’ai répété un propos exact et qui est beaucoup plus grave, à savoir que, quinze mois avant, en voyant le fac-similé du bordereau, Esterhazy s’était senti perdu.

Je m’étonne qu’on ait pu obtenir ce désaveu de M. Papillaud. à moins qu’on ait dénaturé le sens et le texte des paroles que je lui avais prêtées; je m’en étonne d’autant plus que tous les journaux, à l’exception de la Libre Parole, ont répété exactement ma déposition, et il est surprenant que, seule, elle ne l’ait pas reproduite exactement, et c’est précisément le journal qui était directement intéressé dans l’incident.

Mais je comprends très bien l’intérêt qu’on a à nier le propos qui m’a été tenu: on y a un double intérêt : c’est d abord qu’il est d’une gravité extrême en soi, comme indice moral de l’état d’esprit de M. Esterhazy il y a quinze mois, et ensuite, c’est qu’il démontre, contrairement à l’allégation de M. le général de Pellieux, qu’entre le fac-similé du bordereau sur lequel certaines expertises ont été faites, et le bordereau lui-même, il n’y a pas la différence qu’il a dit et la preuve, c’est que M. Esterhazy, à l’audience publique du Conseil de guerre à laquelle j’ai assisté, reconnaissait une ressemblance frappante de son écriture avec celle du bordereau, et auparavant avait reconnu la même ressemblance de son écriture avec celle du fac-similé du bordereau; il n’y a donc pas, entre le fac-similé et le bordereau, de différence.

M. le Président. — Monsieur Jaurès, vous n’étiez pas là lorsque j’ai donné lecture de la dépêche?

M. Jaurès. — Non, monsieur le Président, mais j’ai supposé que c’était un texte analogue à celui de la Libre Parole.

M. le Président, — Je vais vous en donner lecture..., c’est une dépêche que j’ai reçue hier.