Page:Le proces Zola devant la cour d assises de la Seine et la cour de cassation, Paris Bureaux du Siècle etc , 1898, Tome 1.djvu/391

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que temps; puis, déclara-t-il : « Il y a quatre pages, c'est bien long » Et alors c’est M. Mathieu Dreyfus qui monta vers le tribunal et qui mit sous les yeux du Président la phrase accusatrice.

Cet incident m’avait vivement frappé. Je fus également très frappé de la façon véritablement bienveillante dont fut conduit l’interrogatoire à l’égard de M. Esterhazy. S’il arrivait à celui-ci d’avoir des lacunes de mémoire profitables à sa cause, il lui suffisait de déclarer ensuite: « Ce n’est pas important », pour que l’interrogatoire n’insistât pas sur ce point. De même, quand M. Scheurer-Kestner, au cours de sa déposition, vint à dire : « Etant un homme, je puis me tromper », cette parole d’honnête homme fut accueillie par des ricannements des personnes qui se trouvaient en face de lui.

Tout cela, je dois le dire, ne nous avait pas donné l'impression d’une très grande impartialité. Puis, enfin, le huis clos; et si l’on pouvait comprendre qu’il fût prononcé pour certaines dépositions, personne encore n’a pu se rendre compte de l'intérêt que présentait, pour la défense nationale, la forme des s et des x. On était venu là pour chercher la lumière, pour chercher la lumière avec angoisse et avec anxiété, et j'affirme que nulle personne, attentive et réfléchie, n’en est sortie sans cette conviction qu’au lieu de la lumière, des hommes très puissants avaient, sinon donné l’ordre, du moins manifesté le désir... (Murmures au fond de la salle.) manifesté le désir qu’on fît l’ombre et qu’on épaissît les ténèbres.

Si M. Emile Zola est coupable pour avoir exprimé cette conviction avec violence, je crois que beaucoup d’autres en France ont partagé aussi son émotion et, parmi eux, celui qui vous parle, ayant assisté à ces choses avec anxiété.

M. le Président. — Maître Labori, avez-vous d'autres questions ?

Me  Labori. — Non, monsieur le Président. Je remercie M. Quillard... Je crois cependant que le témoin a encore quelques explications à fournir.

M. Quillard. — M. Emile Zola appartient à une génération littéraire absolument différente de la mienne; et généralement les hommes de lettres, en possession de la faveur publique trouvent, dans leurs successeurs immédiats, les pires des adversaires et les plus clairvoyants des critique. Nous n’avons pas failli à ce devoir envers M. Emile Zola, et même, tout en rendant hautement hommage à son œuvre admirable, qui honore les lettres françaises, j’ai exprimé les réserves les plus vives à son égard. Ce n’est donc pas du tout en disciple fidèle que je viens parler ici; je n’en suis que plus libre pour dire combien l’attitude de M. Emile Zola m’a semblé belle, généreuse et héroïque. (Mouvements divers.)

M. Emile Zola aurait pu se taire, il aurait pu écouter les conseils de ce que Victor Hugo, en 1871, appelait la complaisance à la colère publique.