Page:Le proces Zola devant la cour d assises de la Seine et la cour de cassation, Paris Bureaux du Siècle etc , 1898, Tome 1.djvu/390

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guerre qui a jugé et acquitté M. Walsin-Esterhazy. Comme on accuse M. Emile Zola d’avoir commis le délit de diffamation à l’égard des membres du Conseil de guerre, leur reprochant d’avoir acquitté par ordre, je crois que les impressions d’audience d’un témoin désintéressé pourront être de quelque utilité pour éclairer la religion de MM. les jurés.

Nous avons d’abord entendu la lecture de l’acte d’accusation dressé par M. Ravary — je suppose que MM. les jurés connaissent ce document.

C’est, en effet, un document remarquable — très remarquable — par une admiration touchante pour l’éloquence de M. le général Billot, mais surtout par la bienveillance tout à fait inusitée à l’égard de l’accusé; et cette bienveillance nous a paru bien remarquable, à nous qui connaissions déjà l’acte d accusation de M. d’Ormescheville, quand nous avons vu que les mêmes faits qui étaient portés à charge vis-à-vis d’un officier, étaient portés à la glorification du commandant Esterhazy, par exemple, le fait d’être polyglotte ou de s’intéresser à des questions en dehors de son service.

Je rappellerai donc à MM. les jurés que cet acte d accusation était en réalité plutôt un formidable réquisitoire contre un des témoins, le lieutenant-colonel Picquart. Nous avons entendu, nous, hommes de bonne foi, spectateurs désintéressés , nous avons entendu la lecture de ce document avec quelque surprise J’ai eu dès lors comme une idée que les dispositions de la Cour militaire étaient plutôt favorables à M. Esternazy. Cette impression a été confirmée par la façon dont l'interrogatoire a été mené et par l’attitude du tribunal à l'égard des témoins.

Je ne voudrais pas paraître adresser ici, pour les besoins de la cause, des flatteries inconvenantes à la magistrature civile; mais je crois qu’en général les magistrats civils étudient eux-mêmes et en détail les dossiers des affaires qui leur sont soumises. Ici, rien de tel, du moins en apparence. Toutes les fois qu’un document précis a été allégué, le général président du Conseil de guerre et le greffier ont dû faire appel a l'obligeance de Me  Tézenas, avocat de M. Esterhazy. Nous voulons croire que quelques-unes des pièces ainsi alléguées n’étaient pas d’une grande importance; mais voici un incident qui me semble tout à fait notable et caractéristique.

Au cours de sa déposition, M. Mathieu Dreyfus avait déclaré qu’à une certaine date, au mois de juin 1894, je crois, M. Esternazy avait écrit une lettre dans laquelle il déclarait lui-même être dans une situation tellement épouvantable que, pour se soustraire, lui et les siens, à cette situation, il serait peut-être obligé de recourir à un crime. Je crois que c'était là, dans l’affaire, un document capital. Il semble bien que le président du Conseil de guerre l’avait oublié, ce document, puisque c'est encore Me  Tézenas qui dut en fournir la cote; le document fut remis au général de Luxer; celui-ci le prit et le regarda quel-