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Messieurs,

Dans les derniers jours du mois d’octobre, j’ai appris, comme tout le monde, par la voie des journaux, que M. Scheurer-Kestner avait la conviction de l’innocence de M. Dreyfus, et qu’il entendait poursuivre sa réhabilitation.

J’ai été, on le comprendra, plus angoissé que tous les autres lecteurs des journaux. Je me suis même permis, parce que je trouvais le temps un peu long, d’écrire à M. Scheurer-Kestner pour lui demander de faire connaître publiquement, à la tribune ou ailleurs, les raisons pour lesquelles il affirmait l’innocence de M. Dreyfus.

M. Scheurer-Kestner ne m’a pas répondu: il était, je l’ai su plus tard, dans la période de quinze jours pendant laquelle il avait promis à M. le général Billot de garder le silence.

Je suis donc resté dans cet état d’esprit jusqu’à la veille du jour où M. Mathieu Dreyfus a dénoncé à M. le Ministre de la guerre, M. le commandant Esterhazy, comme l’auteur du bordereau.

M. Mathieu Dreyfus est arrivé chez moi au jour que j’indique extrêmement ému; il m’apportait cette écriture qui, en effet, est d’une ressemblance frappante avec celle du bordereau, et il me dit: « M. Scheurer-Kestner m’a dit que mon devoir était de dénoncer, comme l’auteur du bordereau M. Esterhazy, dont voici l’écriture. »

Il est évident, je viens de le dire, que cette écriture était identique à celle du bordereau.

j’ai — et je crois qu’en cela j’obéissais à un sentiment de prudence, — j’ai dit à M.Mathieu Dreyfus : « Faites ce que vous a dit M. Scheurer-Kestner, mais je souhaiterais qu’auparavant, vous priiez M. Scheurer-Kestner de vouloir bien dire publiquement qu’il a signalé à M. le Ministre de la guerre, comme l’auteur du bordereau, celui que vous allez dénoncer: parce que, de cette façon- là, on ne pourra pas mettre en doute votre bonne foi; et, puisque vous n’avez que l’écriture, bornez-vous à dénoncer M. Esterhazy comme l’auteur du bordereau, et n’allez pas plus loin . » Voilà le conseil que je lui ai donné.

A ce moment-là, j’étais aussi très ému, cela se comprend, n’est-ce pas ? puisque j’entrevoyais un recours possible pour la revision du procès Dreyfus; j’étais déjà résolu d’ailleurs à m’adresser à M. le Ministre de la justice depuis que j’avais su, par M. Salles, qu’il y avait eu une violation de la loi. Mais je ne l’avais pas fait encore, pour une raison que je peux bien dire: c’est qu’avant d’employer le recours légal, et surtout celui qui m’appartenait, en vertu d’un article du Code d’instruction criminelle, c’est-à -dire l’annulation du jugement pour violation de la loi, je voulais être appuyé auprès de M. le Ministre de la justice, c'est-à-dire que je voulais avoir l’assistance de ceux qui, portant la robe comme moi, sont soucieux des droits de la défense; et je voulais avoir aussi l’appui d’hommes politiques