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au colonel Picquart à expliquer comment il s’y serait pris pour réaliser ce dont il parlait.

Me Clémenceau. — Je n’ai pas besoin d’explications non plus; tout le monde m’a compris. Je me borne à résumer la question: M. le colonel Picquart — dit l’accusation — a trouvé dans le cornet des morceaux de petit bleu qu’il y avait mis lui-même; il a dit au commandant Lauth et à un autre officier: « Voila des morceaux de petit bleu qui viennent du cornet. » Donc M. le colonel Picquart a, dans son bureau, deux officiers qui savent que ce petit bleu vient du cornet, et l’on affirme qu’il voulait faire apposer le cachet de la poste sur ce petit bleu! Demandez-vous ce qui se serait passé, si le colonel Picquart s’était présenté en haut, comme on dit au ministère, chez ses chefs, et leur avait dit, après avoir fait apposer le timbre de la poste: « Voici un petit bleu venant du cornet qui a une authenticité certaine, puisqu’il y a le timbre de la poste », est-ce que ses supérieurs ne lui auraient pas répondu: « Puisqu’il y a le timbre de la poste, c’est que votre petit bleu ne vient pas du cornet, parce qu’il n’est pas d’usage que les employés de la poste aillent apposer leurs cachets dans des endroits — pour ne pas les nommer — où on prend les petits bleus. »

M. le commandant Lauth. — Il était alors inutile de me demander de certifier que c’était la signature de telle personne, et je crois que le colonel Picquart l’a reconnu dans sa déposition.

Me Clémenceau. — J’ai voulu me mettre, pour donner plus de force à mon raisonnement, dans la plus mauvaise situation. Il ne faut pas cependant croire que j’aie véritablement pensé, même un instant, que M. le colonel Picquart eût mis le petit bleu dans le cornet, après avoir commis un faux. Je vous ai montré, avec la théorie de l’accusation, que les sentiments que ses adversaires prêtent au colonel Picquart n’ont jamais existé dans sa pensée, parce qu’il se serait démenti lui-même. Je voudrais résumer la situation, sur la question du petit bleu déchiré, timbré. Ma question s’adresse d’abord à M. Lauth et ensuite à M. Picquart; car je demande que M. le colonel Picquart parle le dernier. Eh bien! si le petit bleu venait du cornet, n’était-il pas indispensable qu’il ne fût pas timbré?

M. le commandant Lauth. — Oui.

Me Clémenceau. — Bien. Si le petit bleu avait été arrêté à la poste, ne devait-il pas être timbré, mais non déchiré?

M. le commandant Lauth. — C’est précisément probablement pour cela — parce que moi je n’ai pas d’explications à donner — que le colonel Picquart a voulu, sur la photographie et sur le tirage sur papier, faire disparaître les traces de déchirures, ce qu’il ne peut pas nier, et qu’il m’a dit, quand je lui ai demandé des explications: « C’est pour pouvoir dire que je l’ai saisi à la poste. »

Me Clémenceau. — Quand un officier du service des renseignements vient trouver le chef de l'Etat-major et lui dit: « J’ai