Page:Le proces Zola devant la cour d assises de la Seine et la cour de cassation, Paris Bureaux du Siècle etc , 1898, Tome 1.djvu/322

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Me  Labori. — Il ne l’aurait donc écrite crue parce qu’il se sentait soutenu?

M. le colonel Picquart. — En tout cas, il croyait avoir quelque chose de très grave contre moi.

Me  Labori. — Mais, en tout cas, dans les faits qu’on impute à M. le colonel Picquart aujourd’hui, y en a-t -il qui sont postérieurs à 1896 ? car tous les faits dont nous venons de parler se placent en 1896.

M. le colonel Picquart. — Non.

Me  Labori. — Il n'y en a pas... Est-ce que tous les agissements de M. le colonel Picquart n’étaient pas à la connaissance de tous ses chefs et des officiers de son bureau ?

M. le colonel Picquart. — Absolument.

Me  Labori. — Pourquoi alors n’a-t-on pas eu à ce moment-là l'attitude qu’on prend depuis?

M. le colonel Picquart. — Je n’en sais rien.

Me  Labori. — Qui a succédé à M. le colonel Picquart?

M. le colonel Picquart. — J’ai remis le service au général Gonse; mais, comme il est difficile que le sous-chef d’Etat-major général soit à la tête de ce service, car ses hautes fonctions sont déjà fort chargées, je crois que c’est le commandant Henrv qui en remplit les fonctions.

Me  Labori. — Est-ce que, dans un cas aussi grave que celui de M. le commandant Esterhazy, au moment où le chef des renseignements était sur la voie d’une grave inculpation de trahison, est-ce que, dis-je, l’arrestation de M. le commandant Esterhazy n’était pas une mesure presque nécessaire pour arriver à la découverte de la vérité?

M. le colonel Picquart. — C’était mon avis ; mais mon avis ne devait pas prévaloir. J’avais des chefs qui pouvaient avoir une autre façon de voir.

Me  Labori. — Mais, sans arrêter un officier, ne serait-il pas possible de le mettre en surveillance? Ne serait-il pas possible de s’assurer en quelque sorte de sa personne et de le garder à vue, de manière à ne pas lui permettre de se livrer aux agissements les plus repréhensibles et de se mettre à l’abri?

M. le colonel Picquart. — Certainement. Esterhazy avait à son actif de quoi être mis aux arrêts de rigueur... et même de forteresse. (Rires.)

Me  Labori. — M. le colonel Picquart n’agissait-il pas, dans tout ce qu’il a fait à l’égard de M. Esterhazy, en 1896, en vertu d’un mandat, et à la connaissance de ses chefs, — je ne dis pas d’un mandat spécial, mais en vertu d’un mandat; d’un mandat général qui relevait de sa situation même et de ses fonctions ?

M. le colonel Picquart. — Sauf la toute première partie de mon enquête sur Esterhazy, avant que je ne fusse bien fixé sur l’accusation de trahison à porter contre cet officier, j’ai toujours agi en rendant compte à mes chefs; je n’ai pas toujours rendu compte à mes chefs directs, j’ai quelquefois sauté un échelon mais j’ai toujours rendu compte à l’un de mes chefs.