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La 1ettre du commandant Esterhazy me disait en substance : « J’ai reçu ces temps derniers une lettre dans laquelle vous êtes accusé formellement d’avoir soudoyé des sous-officiers pour vous procurer de mon écriture. J’ai vérifié le fait, il est exact. » ... Je ne sais pas comment il l’a vérifié, on n’en a pas parlé aux enquêtes. ... « On m’a informé aussi du fait suivant : Vous auriez distrait des documents de votre service pour en former un dossier contre moi. Le fait du dossier est vrai, j’en possède une pièce en ce moment-ci. » Alors, une longue phrase pompeuse : « Je ne puis croire qu’un officier supérieur de l’armée française soit allé jusqu’à pratiquer...», etc. « Une explication s’impose. » En même temps, je recevais un télégramme signé Speranza me disant : « Arrêtez Demi-Dieu, tout est découvert, affaire très grave. »

Ce qui m’a semblé très grave, à moi, ne l’a pas semblé à l’enquête ; c’est curieux ! On n’a pas été frappé du fait que le commandant Esterhazy écrivait mon nom, Piquart, sans c, et que sa lettre était adressée à Tunis, alors que le télégramme portait même adresse et même faute d’orthographe à mon nom. Pour moi, j’ai fait un rapprochement entre les deux choses.

Le télégramme signé Blanche, différait sensiblement du premier. D’abord, l’orthographe de mon nom était exacte ; ensuite, ma garnison était bien indiquée, Sousse ; et, enfin, la personne était très certainement au courant de mes recherches sur Esterhazy, car ce télégramme était ainsi conçu : « On a des preuves que le bleu a été fabriqué par Georges... » Le bleu....., j’ai immédiatement pensé que c’était le bleu qui m’avait mis sur la trace d’Esterhazy. Le tout était signé Blanche.

Ayant ces trois pièces entre les mains, je n’ai pas hésité une seconde : j’ai télégraphié à Tunis pour demander l’autorisation d’aller voir le général. J’ai été lui porter la copie des trois pièces avec une lettre au Ministre lui disant : « Je viens de recevoir ces trois pièces ; cela vient du commandant Esterhazy ou de quelqu’un de son entourage ; je demande une enquête.» La lettre est partie : cela n’a pas empêché le commandant Esterhazy de dire qu’il m’avait écrit une lettre dont je ne me vanterais pas auprès du Ministre. Il y a un fait qui m’a frappé plus tard, parce que la lumière ne s’est faite que peu à peu dans mon esprit, c’est que, ayant reçu ces deux télégrammes et cette lettre le 10 ou le 11 novembre, la Libre Parole des 15, 16 et 17 novembre a parlé de cette affaire en termes très clairs. Or, télégraphier au général, aller à Tunis, écrire au Ministre, tout cela m’a pris jusqu’au lundi 15 ; ma lettre n’a pu arriver à Paris que le vendredi 19. Ainsi donc, les lundi 15, mardi 16 et mercredi 17, on publiait à Paris ce qui ne pouvait y parvenir, de mon chef, que le vendredi 19.

Il y a encore une chose qui m’est arrivée : je n’ai plus reçu du tout de lettres de chez moi. Alors, je me suis dit qu’il fallait se méfier un peu : j’avais recommandé à ma famille de prendre une précaution qui est bien simple : mettre les lettres sous