Page:Le proces Zola devant la cour d assises de la Seine et la cour de cassation, Paris Bureaux du Siècle etc , 1898, Tome 1.djvu/259

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Cette affirmation est grave, car elle soulève, à mon avis, la difficulté vraiment capitale de ce grand débat, et je m’étonne qu’elle n’ait point encore été clairement et loyalement tranchée. C’est par elle qu’on aurait dû commencer, et il me semble, — c’est peut-être une illusion de ma part, — qu’il était très simple de répondre avec franchise à cette question par un oui ou un non qui aurait été décisif.

J’ai lu le compte rendu de ces débats et j’y ai constaté avec stupéfaction qu’on avait interrogé sur ce fait si important d’honorables généraux, qui n’avaient répondu que par le silence Ils se sont cru sans doute, à tort suivant moi, liés par le secret professionnel.

Ce silence doit-il être interprété comme un aveu ?... Il est bien fait, en tous cas, pour troubler profondément toutes les consciences soucieuses de la vérité et de la justice.

La question ne soulève pas, à vrai dire, un point de droit, car la loi est formelle ; mais nous touchons ici à un principe beaucoup plus élevé, celui de la liberté de la défense, celui du droit imprescriptible qu’a tout homme accusé, même de trahison, de savoir quels sont les documents qui l’accusent. Si l’illégalité a été commise, le Garde des sceaux doit saisir la Cour de cassation. La loi lui en fait un devoir.

Dans le cas qui nous occupe, la Cour suprême annulerait la décision rendue par le premier Conseil de guerre. Dreyfus serait-il pour cela reconnu innocent ? Nullement. L’autorité militaire, qu’on dit acharnée contre lui, ce que je ne puis croire, le traduirait devant un autre Conseil de guerre qui devrait, cette fois, statuer conformément à la loi, c’est-à-dire après avoir fait communiquer à Me Démange, défenseur, et à Dreyfus, toutes les pièces du dossier.

Je ne sais si une seconde condamnation serait prononcée, mais le débat serait, du moins, loyal et complet, la loi respectée, et la liberté de la défense, la dignité humaine, devrais-je dire, sauvegardée... (Bruits dans l'auditoire.)

S’il n’y a pas eu de communication clandestine et illégale, pourquoi ne pas le proclamer ?

Je déclare hautement que, si M. le général Mercier, qui était alors Ministre de la guerre, était venu apporter ici, sous la foi du serment, une déclaration précise, s’il avait donné sa parole d’honneur qu’aucune pièce n’avait été cachée à la défense de Dreyfus je me serais incliné, — mais, hélas ! il garde le silence !...

Voila ce qui trouble, ce qui inquiète les consciences impartiales. — Voilà ce qui prolonge et perpétuera peut-être ce procès, si attristant pour tous, et qui est un mal pour la Patrie !...

M. Zola. — A coup sûr.

M. Thévexet. — Que faut-il croire ? Que faut-il penser de ce silence ? Ne sommes-nous plus une nation libre, respectueuse de la loi, voulant la loyauté et la franchise ? (Bruits.)