Page:Le proces Zola devant la cour d assises de la Seine et la cour de cassation, Paris Bureaux du Siècle etc , 1898, Tome 1.djvu/248

Cette page n’a pas encore été corrigée

Cette pièce était déchirée, avait été déchirée et recolée. La pièce contenait un écrit qui semblait prouver, d’après le colonel Picquart, que le commandant Esterhazy avait, avec un agent d’une puissance étrangère, des relations louches.

La première chose à faire, c’était de prouver l’authenticité de cette pièce ; le lieutenant-colonel était seul à la connaître, à pouvoir dire qu’elle était authentique. Mais une chose bien certaine. c’est que cette carte-télégramme n’avait pas été envoyée au destinataire, et que, par conséquent, elle ne lui était pas parvenue. Cela enlevait déjà un caractère d’authenticité à une pièce qui n’avait pas été mise à la poste, car elle ne porte pas le timbre de la poste. Pour moi, l’authenticité n’en était pas démontrée.

Au cours des interrogatoires successifs des témoins, j’ai parlé de cette pièce, et les dépositions, que j’étais seulement chargé de prendre et de transmettre au gouverneur de Paris, m’ont appris que des tentatives avaient été faites pour donner à cette pièce le caractère d’authenticité qui lui manquait.

Quel est le moyen qui a été employé ? On a voulu la faire photographier en faisant disparaître les traces de déchirure, afin de pouvoir dire : elle a été déchirée après, mais, quand elle est arrivée, elle était entière. On a voulu chercher à y faire mettre le timbre de la poste..., c’est avoué, c’est dans les interrogatoires..., afin d’avoir la possibilité de dire qu’elle avait été saisie à la poste. J’ajouterai que cette pièce, pour moi, n’avait aucun caractère de vraisemblance...Et là, je vais toucher à un sujet un peu brûlant.

Cette pièce aurait été, comme je l’ai dit, la preuve qu’Esterhazy avait des relations louches avec l’attaché militaire d’une puissance étrangère. Je me suis étonné que le colonel Picquart, chef du service des renseignements d’une grande puissance — nous ne sommes pas encore tombés au niveau de la république d’Andorre ou de Saint-Marin — chef du service des renseignements d’une grande puissance, officier qui devait être intelligent, je pense, ait été assez naïf pour croire qu’un attaché militaire d’une grande puissance étrangère aurait correspondu avec un de ses agents par carte-télégramme. Une carte-télégramme déposée chez le concierge, qui peut être ouverte par le concieroe, par un domestique ! et c’est ainsi qu’on aurait correspondu avec Esterhazy !... J’avoue que c’est trop naïf, je n’v ai pas cru, je l’avoue...

Maintenant, j’ai interrogé le colonel Picquart, et je lui ai demandé également : « Mais vous avez cherché d’autres preuves contre Esterhazy, et quel moyen avez-vous employé pour trouver ces preuves ? » — J’arrive à une affaire très grave. Il a avoué avoir pendant de longs mois, sans mandat, sans autorisation de ses chefs, le général Gonse et le général de Boisdeffre, fait saisir à la poste toute la correspondance d’Esterhazv ; pendant huit mois, il a ouvert les lettres de cet officier, et il a été obligé d avouer qu’il n’y avait rien trouvé. Il a avoué que, sans mandat, il avait fait faire une perquisition chez cet officier ; on