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cette condamnation avait pour conséquence immédiate et forcée d’entraîner la revision du procès de son frère. M. Mathieu Dreyfus a donc bien employé la voie qui lui était tracée par la loi. Pouvant opter entre les deux voies ouvertes, il a pris la première.

Toute la question paraît être de savoir s’il n’aurait pas mieux tait de prendre la seconde. Je crois que c’est à cela que se réduisent le reproche qui lui a été adressé et la critique qu’on fait de sa procédure. On a paru penser qu’il aurait mieux fait de s’adresser au Ministre de la justice en le saisissant par voie de requête. Je crois qu’on se trompe tout à fait. Voici pourquoi : Je suppose que, au lieu de porter plainte contre le commandant Esterhazv entre les mains du Ministre de la guerre, M. Mathieu Drevfus se fut adressé au Ministre de la justice en lui demandant de provoquer la revision, quel est le fait nouveau dont il eût pu se prévaloir pour obtenir du Ministre de la justice qu’il saisît la Cour de cassation de cette demande de revision ?

Il n’y en a qu’un, c’est la similitude d’écriture du commandant Esterhazy avec celle du bordereau qui avait été à tort attribué, par le jugement de 1894, au capitaine Dreyfus. Voilà le fait nouveau unique qu’il eût pu invoquer, il n’y en a pas d’autre ; la question est de savoir si le bordereau a été écrit par le commandant Esterhazy ou par le capitaine Drevfus ; car tout cela est d’une extrême simplicité. Si l’écriture est celle du commandant Esterhazy, elle ne peut pas être celle du capitaine Dreyfus ; si c’est celle du capitaine Dreyfus, ce n’est pas celle du commandant Esterhazy.

Le fait nouveau aurait été la production de l’écriture d’Esterhazy au Ministre de la justice ; mais si ce fait avait été signalé au Ministre de la justice, il fallait en tirer immédiatement une conséquence, c’est que l’auteur de cette écriture, M. Esterhazy, devenait le coupable. Il était impossible que la demande de revision fût introduite devant la Cour de cassation avant que cette question eût été contradictoirement réglée avec M. Esterhazy ; on ne pouvait pas faire reviser l’erreur judiciaire dont Dreyfus avait été victime avant qu’il eût été établi avec l’intéressé direct, que cette erreur était le résultat de son crime, et que c’était lui qui était l’auteur du bordereau indûment attribué à Dreyfus.

Cela eût été nécessaire. Alors, le Ministre de la justice se trouvant dans la nécessité de faire régler cette question contradictoirement avec Esterhazy, eût dû exercer des poursuites contre lui. Seulement, il n’aurait pas pu le faire lui-même, par cette raison très simple que M. Esterhazv, étant militaire, était justiciable des tribunaux militaires et que, par conséquent, il aurait fallu que le Ministre de la justice le renvoyât à son collègue, le Ministre de la guerre. Si, donc, on eût pris cette voie d’un recours au Ministre de la justice, non seulement on n’eut rien gagné, mais on eût perdu du temps, car on fût arrivé par un circuit au même résultat.