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la justice, j’ai eu, dès le premier moment, conscience que je n’assistais pas à un procès ordinaire, que ce procès ne ressemblerait pas à un autre procès. J'y ai entendu lire tout d’abord une déclaration du général Saussier qui disait qu’il avait renvoyé cette affaire devant le Conseil de guerre pour y éclaircir des obscurités qui lui étaient apparues et qui ne pouvaient dans sa pensée être élucidées qu’au jour d’un débat contradictoire.

Je me sentais rassuré autant qu’il était possible, bien que j’eusse une grande inquiétude à raison des lacunes que je signalais tout à l’heure et, que je savais exister dans la procédure. Mais, enfin, débat contradictoire, c’était déjà beaucoup. Or, Messieurs, il se présenta immédiatement un avocat pour Mme Dreyfus et ses enfants, un autre avocat pour la partie plaignante ; ils demandèrent à être acceptés comme parties intervenantes au procès ; je savais que des précédents existaient : il y en avait eu un notamment dans l’affaire Cremer, à Lyon : je connaissais l’état de la doctrine : Dalloz et d’autres auteurs enseignent que les Conseils de guerre peuvent admettre ces sortes d’interventions. — L’intervention des parties plaignantes fut ici écartée.

Cette intervention écartée, on donne lecture de l’acte d’accusation. Cet acte d’accusation est un plaidoyer des plus insistants en faveur de l’accusé, et un réquisitoire foudroyant pour les témoins qui l’accusent.

M. le rapporteur, — je puis le dire, parce que c’est l’évidence des faits, et lui-même aurait la loyauté de le reconnaître, — M. le rapporteur ouvrit la bouche et, dès ses premiers mots, il apparut que le Ministère public n’était pas un accusateur, mais qu’il allait être le défenseur même, le premier défenseur de l’accusé.

Alors, je me demandai : Où donc sera, où pourra être ce débat contradictoire cherché, voulu, demandé par le général Saussier ? Jusqu’au moment, Messieurs, où le secret du huis clos m'a mis dans l’impossibilité de poursuivre mes observations, je n’ai vu que l’ombre et l’apparence d’une discussion contradictoire.

Messieurs, c’est tout ce que je sais, tout ce que j’ai vu, tout ce que je pouvais dire. (Nombreux applaudissements.)

M. le Président. — Maître Labori, avez-vous encore des questions à poser à M. Trarieux ?

Me Labori. — Oui, Monsieur le Président, mais elles peuvent avoir une certaine étendue.

M. le Président. — Alors, nous allons remettre à demain.

Me Labori. — Très volontiers ; d’autant plus que je serai très heureux de saluer une seconde fois M. Trarieux à la barre.

(L’audience est levée.)