Page:Le proces Zola devant la cour d assises de la Seine et la cour de cassation, Paris Bureaux du Siècle etc , 1898, Tome 1.djvu/192

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gement de procéder lui-même à un examen de ces écritures et qu'il ferait connaître plus tard le résultat de cet examen.

Le 28, il m’écrivit de revenir à la Chancellerie, et là, il me fit connaître le résultat des appréciations de M. le Ministre de la guerre. M. le Ministre de la guerre me faisait répondre qu’il ne croyait pas que les soupçons de M. le lieutenant-colonel Picquart fussent fondés et qu’il ne voyait pas, comme lui, entre l'écriture qui lui était signalée et celle de l’une des dépêches, des similitudes qui permissent de les croire de la même origine.

Se trompait-il, Messieurs ? je n’ai pas à la rechercher, et c’est une question trop délicate pour que je l’examine ; mais, ce qu’il y a de sûr, c’est que si la personnalité qui avait été l’auteur de ces documents ne pouvait être désignée avec certitude, il y avait tout au moins un crime trois fois répété, dont on devait se préoccuper et je m’attendais à ce qu’après cette communication une instruction complémentaire fût ouverte.

Il n’en fut pas ainsi, Messieurs. J’eus le très profond regret, je dois le dire, de constater que le silence continua à se faire sur une situation qui, quant à moi, m’avait paru des plus graves ; il se prolongea plusieurs jours et c’est alors qu’en désespoir de cause, M. le lieutenant-colonel Picquart se décida à déposer, aux mains de M. le Procureur de la République, à la date du 4 janvier dernier, une plainte formelle pour faux en écritures privées.

Dans sa plainte, il donne pour auteur de la dépêche signée Speranza, du 10 novembre, un agent de police dont le nom a été désigné comme auteur probable de ce document : quand aux autres documents, la plainte est portée contre « inconnu ».

Cette plainte déposée, Messieurs, on n’agit pas davantage. M. le commandant Ravary continua à ne rien vouloir entendre, et c’est ainsi que le 10 janvier, six jours après, on réunit le Conseil de guerre et que, devant ce Conseil, on entendit la lecture d’un acte d’accusation où il n’est pas fait l’allusion la plus légère à des faits dont le lieutenant-colonel Picquart avait vainement signalé l’importance.

Il n’avait pas été dans la pensée du commandant Ravary, — il faut le croire, — dans le plan de son instruction, que la lumière se fît entière. Cependant, en ce qui me concerne, j’avais fait un effort suprême pour qu’il en fût autrement. J’avais, en effet, à la date du 6 janvier, adressé à M. le Ministre de la guerre, une lettre dans laquelle je me permettais de lui poser quelques points d’interrogation, et où j’appelais son attention toute particulière sur la nécessité de compléter une procédure qui présentait des lacunes si regrettables, avant qu’elle vint devant le Conseil de guerre.

« Nous voici, lui disais-je dans cette lettre, à la veille des débats qui doivent faire la lumière, et je me suis préoccupé de l’état de l’instruction qui doit les préparer. Ainsi, il est certain, du propre aveu du commandant Esterhazy, qu’une pièce a été soustraite au ministère, pièce qui, dit-il, lui a été remise par