Page:Le proces Zola devant la cour d assises de la Seine et la cour de cassation, Paris Bureaux du Siècle etc , 1898, Tome 1.djvu/186

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mots, courts, mais suffisants pour ce qu’on voulait leur faire dire : « Cet animal de Dreyfus devient vraiment trop exigeant. »

Alors, dit M. Scheurer-Kestner, ce fut comme une traînée de poudre dans toute la presse ; un mouvement d’opinion formidable s'éleva contre les rares personnes qui pouvaient encore parler de ce qui s’était passé en 1894 ; la preuve évidente de la culpabilité apparaissait ; enfin, les consciences timorées pouvaient se calmer ; il n’y avait plus rien à craindre : Dreyfus était bien un traître, puisque ses relations avec des attachés d ambassades étrangères étaient avouées par un attaché étranger lui-même ?

Messieurs, qui donc avait pu produire cette pièce ? Qui donc l'avait communiquée ? C’est une question à laquelle M. Scheurer-Kestner ne pouvait point me répondre, car il ne le savait pas, personne ne le lui avait dit.

Mais quelle suite au moins avait eue cette publication ? Quelle suite ? Quelques jours après, un autre article paraissait dans le Matin, qui reproduisait le bordereau et des lambeaux de l'écriture de Dreyfus ; des polémiques violentes étaient allumées : on avait repris le bruit qui avait circulé précédemment dans le public de tentatives d’évasion. On demandait au gouvernement de faire bonne garde et, enfin, aussitôt après la rentrée de la Chambre, une interpellation était annoncée par M. le député Castelin, qui avait recueilli ces diverses rumeurs et qui entendait demander au gouvernement des explications.

C’est alors, Messieurs, qu’en présence de ce déchaînement, il s’était fait dans les dispositions du ministère un changement radical ; non seulement on avait prié le lieutenant-colonel Picquart de calmer ses ardeurs, on avait jugé nécessaire de l’éloigner du ministère, on avait fait annoncer l’intention de ne pas résister à l’interpellation de M. Castelin, on avait jugé impossible de faire tête à l’orage et, en effet, le 14, — je croîs que l'interpellation a eu lieu le 16 novembre, — deux jours avant cette interpellation, le lieutenant-colonel Picquart avait été envoyé en mission sur notre frontière de l’Est, où il devait être retenu pendant des semaines, jusqu’à ce que finalement, il fut éloigné plus loin encore de Paris, envoyé en Algérie, et, enfin, en Tunisie ! Voilà comment s’expliquait cette "brusque volte-face !

Une voix dans l’auditoire.— Qu’est-ce que cela prouve tout cela ? (Exclamations.)

M. Trarieux. — Je vous ai fait connaître, Messieurs, le document qui avait été le point de départ de tout ce désarroi. c’était la publication à l'Eclair d’une pièce secrète qui, disait-on, avait été communiquée au Conseil de guerre.

En fait, on dénonçait bien une illégalité et tous les esprits soucieux du droit devaient s’en préoccuper. Mais ce qui frappa surtout les esprits, c’est que, en même temps, on affirmait que