Page:Le proces Zola devant la cour d assises de la Seine et la cour de cassation, Paris Bureaux du Siècle etc , 1898, Tome 1.djvu/184

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tions nouvelles de prudence et par l’expression des sentiments les plus affectueux du général pour son subordonné.

A cette lettre, le lieutenant-colonel Picquart avait répondu, le 7, et sa réponse avait une réelle gravité, je l’ai lue si souvent qu’elle est intégralement fixée dans ma mémoire : « Je suivrai vos instructions, — disait le lieutenant-colonel Picquart au général Gronse, — mais des indices graves m’obligent à vous dire ceci : des personnes qui croient qu’on s'est trompé à leur égard vont tout tenter et faire un gros scandale.

« Je crois avoir fait le nécessaire pour que l’initiative vienne de nous ; si nous perdons du temps, elle viendra d’ailleurs, et, abstraction faite de considérations d’ordre plus élevé, nous ne jouerons pas alors le beau rôle. Je dois ajouter que ces gens-là ne sont pas informés comme nous le sommes ; si nous tardons à agir, leur tentative pourra nous conduire au gâchis, d’où ne sortira pas pourtant la clarté ; ce sera une crise fâcheuse, inutile, que nous pourrions éviter en faisant justice à temps. »

On aime à rappeler, quand on prend des engagements pareils à ceux que contracte devant le pays et la justice le témoin qui dépose à cette barre, on aime à rappeler les termes exacts d’une pareille correspondance, tant ils font honneur à leur auteur. Le lieutenant-colonel Picquart parlait un langage prophétique ; il avait prévu que si le gouvernement ne prenait pas l’initiative qu’il sollicitait de son chef, plus tard elle viendrait d’ailleurs, et occasionnerait les troubles que tout le monde regrette à cette heure.

Cette lettre, elle posait la question de la revision en termes aussi exprès qu’il était possible. On ne pouvait, en effet, parler un langage à la fois plus clair et plus prudent. Que répondit le général Gonse ? La réponse du général Gonse fut formelle. Il dit à son subordonné que, malgré ce qu’il y avait d’inquiétant dans sa lettre, il conseillait toujours d’agir avec de très grands ménagements ; mais il ajouta cette déclaration topique, absolument démonstrative de l’état d’esprit dans lequel il était, il ajouta : « Il ne s’agit pas, bien entendu, au point ou en est votre enquête, d’arrêter la lumière ; mais il faut savoir comment on doit s’y prendre pour arriver à la manifestation de la vérité. »

C’était bien, — il n’y avait pas pour moi à s'y méprendre, — le langage d’un homme qui n’avait pas en mains la preuve certaine de la trahison de Dreyfus, le langage d’un homme qui avait, lui aussi, la conscience, le cœur troublés par les craintes qui avaient envahi avant lui l’esprit du lieutenant-colonel Picquart.

Il ajoutait, quelques lignes plus bas : « J’écris au général de Boisdeffre ; je lui en touche un mot, dans le sens de ma présente lettre.»

Cette correspondance se terminait par une dernière lettre du lieutenant-colonel Picquart, qui, le 14, disait à son chef : «Je vous envoie un article de l'Eclair. C'est une bombe qui vient