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avoir pensé de même, puisqu’il a donné à M. le commandant Esterhazy un reçu de ce document. Le document concerne donc l’affaire de M. le commandant Esterhazy, sur laquelle nous nous expliquons ici.

J’insiste, en maintenant ma question, pour savoir de M. le général de Boisdeffre ce que c’est que le document libérateur.

M. le Président à M. le général de Boisdeffre. — Pouvez-vous répondre à cette question ?

M. le général de Boisdeffre. — Non, Monsieur le Président ; je persiste à dire que le secret professionnel ne me permet pas d’y répondre.

Me Labori. — Ici nous allons aborder un autre ordre d’idées : c’est le secret professionnel. Je vois avec plaisir qu’il est bon d’avoir M. le général de Boisdeffre à la barre, car il paraît que j’ai déjà réussi à le convaincre sur le premier point, sur le point de fait ; j’essaierai de le convaincre sur le second.

Le secret professionnel est un secret, — je parle pour la Cour puisque c’est une question de droit, — que seules peuvent invoquer des personnes qui sont susceptibles de recevoir des confidences par suite de leur profession, d’où le nom de secret professionnel. Il n’y a pas de secret là où il n’y a pas de profession qui comporte la confidence nécessaire ; pas de secret professionnel là où il n’est pas question de confidence.

M. le général de Boisdeffre n’a pas reçu de confidences à raison de sa fonction, et nous ne lui demandons pas, s’il en a reçu, de nous les révéler , M. le général de Boisdeffre, comme chef d’état-major général de l’armée, a agi comme fonctionnaire, et s’il invoque un secret, ce ne peut être le secret professionnel ; ce ne pourrait être qu’un secret qui semble avoir été imaginé à beaucoup d’égards pour cette affaire et qu’on appellerait le secret d’Etat.

Ce secret d’Etat, quand il est invoqué par un gouvernement, nous pouvons nous demander s’il y a lieu de l’accepter ; ce sera une question qui se posera ici quand nous verrons paraître MM. les Ministres du cabinet Dupuy. Quand il est invoqué par un ancien Président de la République, nous nous inclinons avec déférence parce que le Président de la République est irresponsable. M. Casimir-Périer, avec un tact qui n’avait d’égal que son respect pour la justice, a eu bien soin d’invoquer — et MM. les jurés n’ont pas manqué de le retenir — l’irresponsabilité de sa fonction.

M. le général de Boisdeffre est un fonctionnaire responsable, d’autant plus responsable qu’il exerce dans ce pays une fonction plus respectée et plus élevée. Le salut respectueux qu’on envoie à l’armée ne s’adresse jamais à une personne, il s’adresse à un symbole et à un idéal, et ce respect est fait précisément de la confiance que nous avons dans ceux qui la représentent, et de la possibilité où ils sont à tout moment de répondre de tous leurs actes devant la justice de leur pays, représentée ici par