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DÉPOSITION DE M. J. DE CASTRO

M. le Président (s'adressant aux défenseurs). — Quelles questions, Messieurs, voulez-vous faire poser au témoin ?

Me Labori. — Voudriez-vous demander à M. de Castro dans quelles conditions il a remis à M. Mathieu Dreyfus certaines lettres de M. le commandant Esterhazy et comment il a été amené à la pensée que le bordereau était de la main de M. Esterhazy ?

M. le Président. — Vous entendez la question, Monsieur, veuillez y répondre.

M. de Castro. — Oui, monsieur le Président. J'étais établi à cette époque banquier-commissionnaire près la Bourse de Paris et j’avais eu l’occasion de faire quelques affaires pour le commandant Esterhazy. Le commandant Esterhazy était en correspondance très suivie avec la maison et je connaissais très bien son écriture. ; je la connaissais si bien que, lorsque, le matin, j’avais un courrier important à dépouiller, je reconnaissais l’écriture du commandant même avant d’avoir ouvert sa lettre.

Vers la fin du mois d’octobre de l’année dernière, j'étais sur le boulevard, lorsqu’un camelot passa près de moi vendant le fac-similé du fameux bordereau attribué à l’ ex-capitaine Dreyfus. J’ai été saisi en vovant cette écriture ; il me sembla voir une lettre du commandant Esterhazy. Je rentrai chez moi extrêmement troublé. Le lendemain matin, j’allai avec mon beau- frère chercher dans le dossier du commandant Esterhazy quelques lettres, je fis même quelques comparaisons d’écritures et j’y trouvai en effet une parfaite similitude, je dirai même une identité frappante.

Je parlai à quelques amis de cette étrange coïncidence, et mes amis me conseillèrent de porter quelques lettres à M. Scheurer-Kestner, qui s’occupait de l’affaire Dreyfus. Entre temps, ces amis ont parlé probablement à M. Mathieu Dreyfus qui est venu un jour me prier de lui faire voir ces lettres. Je lui proposai d’en prendre quelques-unes, il les refusa et me dit : « Je vous prie de les porter chez M. Scheurer-Kestner.» J’y allai un matin et lui dis : « Monsieur le Président, je viens vous présenter quelques pièces excessivement curieuses, vous verrez par vous-même la similitude qui existe entre l’écriture de ces lettres et le fameux bordereau. »

M. Scheurer-Kestner prit ces lettres, les considéra quelques temps, puis il alla à côté dans un bureau et revint en disant : « Voilà des lettres qui sont probablement de la même main, de la même source. » Je reconnus, en effet, l’écriture du commandant Esterhazy.

Me Labori. — Est-ce qu’à ce moment, le nom de M. le commandant Esterhazy avait été déjà prononcé comme étant susceptible d’être celui de l’auteur du bordereau ? Est-ce que M. de