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mais, permettez-moi de vous répéter que des indices nombreux me font penser que les gens qui sont convaincus qu’on s’est trompé à leur égard en 1894, vont tout tenter ; il en naîtra un gros bruit, un grand scandale, que nous pouvons éviter en faisant justice à temps. »

Voilà ce qu’écrivait le colonel Picquart à la date du 8 septembre.

Deux jours après, le général Gonse répondait, commençant sa lettre comme la première fois : « J’ai beaucoup réfléchi », et, dans le courant de cette lettre, je relève cette phrase que je cite textuellement : « Au point où vous en êtes arrivé de votre enquête, il ne s’agit pas d’éviter la lumière, bien entendu, mais il s’agit de savoir comment on arrivera à la manifestation de la vérité. »

Je soumets à l’appréciation de MM. les membres du jury la forme qui a été donnée à cette phrase, mais je les supplie de remarquer en même temps quelle est l’affirmation qui s’y trouve.

Le colonel Picquart croit devoir écrire encore une fois au général Gonse : « Mon général, je vous ai averti déjà que nous courons à un scandale, à un gros bruit, et si nous ne prenons pas les devants, nous n’aurons pas le beau rôle ; je vous envoie un article de l'Eclair. »

C’était au moment où venait d’être publié cet article de l'Eclair qui a fait tant de bruit et dans lequel on parlait pour la première fois du bordereau et d’une soi-disant pièce secrète.

« Le numéro de l'Eclair que je vous envoie, disait le colonel Picquart, me confirme malheureusement dans mes appréhensions ; nous n’avons plus de temps à perdre, car si nous attendons encore, le scandale sera là et nous ne parviendrons peut-être plus à manifester la vérité vraie. »

C’était une prophétie, elle est accomplie aujourd’hui.

Voilà, Messieurs, le résumé que j’ai pu faire de mémoire de ces belles lettres qui honorent leur auteur, qui honorent en même temps le soldat et l’homme ! Je regrette de ne pas avoir pu vous en donner lecture et de n’avoir pu en faire qu’un faible résumé.

Messieurs les jurés, après la lecture de cette lettre, ma conviction était faite ; j’étais convaincu qu’il y avait eu une erreur. Je voyais le général Gonse, le chef du colonel Picquart, partager ses idées et envisager la revision comme une chose possible. Qu’avais-je à faire ? J’avais comme premier devoir d’en entretenir le gouvernement, M. le Ministre de la guerre ; j’avais comme premier devoir de lui apporter les pièces, de lui démontrer que l’écriture du bordereau était l’écriture du commandant Esterhazy et non celle du capitaine Dreyfus. C’est ce que je fis. J’allai trouver le général Billot, j’eus une très longue conversation avec lui, je lui fis part des documents que je possédais, je ne lui parlai pas à ce moment-là de la correspondance engagée entre le général Gonse et le colonel Picquart ;