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les mille nuits et une nuit

troisième nuit, et la quatrième. Alors, moi, je ne pus retenir plus longtemps ma langue, et je m’écriai : « Ô mes seigneurs, je vous prie de m’éclairer sur le motif de votre œil gauche abîmé, et de la cendre, du charbon et du kohl que vous mettez sur votre tête, car, par Allah ! je préfère même la mort à cette perplexité où vous m’avez jeté ! » Alors ils s’écrièrent : « Ô malheureux, que demandes-tu ? C’est ta perte ! » Je répondis : « Je préfère ma perte à cette perplexité ! » Alors ils me dirent : « Crains pour ton œil gauche ! » Et je dis : « Je n’ai pas besoin de mon œil gauche si je dois rester dans la perplexité ! » Alors ils me dirent : « Que ton destin s’accomplisse ! Il va t’arriver ce qui nous est arrivé, mais ne te plains pas, car ce sera ta faute ! Et, d’ailleurs, après la perte de ton œil, tu ne pourras pas revenir ici, car nous sommes déjà dix, et il n’y a point de place pour un onzième ! »

À ces paroles, le vieillard apporta un mouton vivant qu’on égorgea, qu’on écorcha, et dont on nettoya la peau. Puis ils me dirent : « Tu vas être cousu dans cette peau de mouton, et tu seras exposé sur la terrasse de ce palais en cuivre. Alors le grand vautour nommé Rokh, qui est capable d’enlever un éléphant, te prendra pour un vrai mouton, et fondra sur toi et t’enlèvera jusqu’aux nuages, puis te déposera sur le sommet d’une haute montagne inaccessible aux êtres humains, pour te dévorer dans son gosier ! Mais alors, toi, avec ce couteau que nous te donnons, tu fendras la peau du mouton et tu sortiras tout entier ; alors le terrible Rokh, qui ne mange pas les hommes, ne te mangera pas et dis-