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histoire du portefaix…
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Lorsque le porte-glaive entendit mes vers, il se rappela alors qu’il avait été le porte-glaive de mon père et que je l’avais moi-même comblé de bienfaits, et il me dit : « Comment allais-je te tuer ? Et je suis ton esclave soumis ! » Puis il me dit : « Bondis ! Tu as la vie sauve ! Et ne reviens plus dans cette contrée, car tu périrais et tu me ferais périr avec toi ; comme dit le poète :

Va ! libère-toi, ami, et sauve ton âme de la tyrannie de tous les liens ! Et laisse les maisons servir de tombeaux à ceux qui les ont bâties !

Va ! Tu trouveras d’autres terres que les tiennes, d’autres pays que ton pays ; mais jamais tu ne trouveras d’autre âme que ton âme !

Songe ! quelle étonnante chose, quelle chose insensée de vivre dans un pays d’humiliations, quand la terre d’Allah est large à l’infini !

Pourtant ! il est écrit !… il est écrit que l’homme dont la destinée est de mourir dans une terre, ne pourra que mourir dans la terre de sa destinée ! Mais toi, connais-tu la terre de ta destinée ?…

Et, surtout, n’oublie point que le cou du lion ne se développe et grossit que lorsque l’âme du lion s’est développée, en toute liberté ! »

Quand il eut fini ces vers, je lui embrassai les mains. Et je ne crus vraiment à mon salut qu’en me voyant déjà au loin envolé.

Par la suite, je me consolai de la perte de mon œil en songeant à ma délivrance de la mort. Et je continuai à voyager, et j’arrivai à la ville de mon