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les mille nuits et une nuit

Il m’est parvenu, ô Roi fortuné, que, lorsque le portefaix eut fait cette promesse aux jeunes filles, la pourvoyeuse se leva et rangea les mets devant eux, et tous mangèrent avec délices. Après quoi, on alluma les chandelles, on brûla les bois odorants et l’encens ; puis tout le monde se remit à boire et à manger de toutes les friandises achetées au souk, surtout le portefaix, qui en même temps disait toujours des vers bien rythmés en fermant les yeux et hochant la tête. Et soudain on entendit des coups frappés à la porte ; mais cela ne les troubla pas dans leurs plaisirs ; pourtant la jeune portière se leva et se dirigea vers la porte, puis revint et leur dit : « Notre nappe va, en vérité, se trouver au complet cette nuit, car je viens de trouver à la porte trois Ahjam[1] à la barbe rasée et tous trois borgnes de l’œil gauche. Et, vraiment, c’est là une coïncidence étonnante ! J’ai vite vu que c’étaient des étrangers qui doivent venir du pays des Roum ; et chacun d’eux a une physionomie différente, mais tous les trois sont parfaitement réjouissants de figure, tant ils sont ridicules. Si donc nous les faisions entrer, nous nous amuserions bien à leurs dépens ! » Puis elle continua à dire des paroles persuasives à ses compagnes qui enfin lui dirent : « Dis-leur alors qu’ils peuvent entrer, mais pose-leur bien la condition en leur disant : « Ne parlez pas de ce qui ne vous concerne point, sinon vous entendrez des choses qui ne

  1. Ahjam, pluriel de Ajami. Ce mot désigne tous les peuples partant une langue étrangère à l’arabe, et particulièrement les Persans et, en général, tous ceux qui parlent mal l’arabe. Mais le plus souvent on ne se sert de ce mot que pour désigner les Persans.