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coquillages ; tous, indistinctement, portaient au cou ou au poitrail des sonnettes, des grelots, et quelquefois d’énormes chaudrons faisant office de cloches, qui produisaient, orchestre étrange, un inimaginable charivari.


IV
Aspect de Trébizonde vue de la mer. – Le couvent des femmes et l’ancien palais des Comnènes. – La mosquée Sainte-Sophie et la mosquée du Sérail. – Les chapelles. – La ville turque. – Les murailles et les portes.


Trébizonde, batie en amphithéâtre sur le bord de la mer, est, lorsqu’on arrive de ce côté, d’un très-bel aspect. Sur le rivage s’élèvent des maisons pittoresques, aux couleurs éclatantes, au-dessus desquelles on aperçoit d’autres constructions à demi cachées parmi les arbres fruitiers, les orangers et les oliviers. Çà et là émergent de la verdure les élégantes colonnes blanches des minarets. Les lignes sévères des ruines des anciennes fortifications contrastent avec ce riant tableau.

A l’est, la montagne de Bostepeh, taillée à pic du côté de la mer, descend en pente douce vers la ville. Sur ce coteau est situé un couvent de femmes, où l’on remarque un vieil édifice qui passe pour avoir fait partie du palais des Comnènes.

Les Turcs de Trébizonde sont fiers du nombre de leur mosquées qu’ils portent à quarante. Mais elles sont peu remarquables, et à part la mosquée de Sainte-Sophie située à peu de distance de la ville, le seul monument qui attira mon attention fut une église byzantine transformée en mosquée, et dont les murailles extérieures sont en partie ornées de mosaïques : elle s’élève dans la ville close, non loin du palais du gouverneur (sérail). En cet endroit, on me montra aussi quelques tronçons de colonnes et des chapiteaux intéressants.

Çà et là, on rencontre d’anciennes petites chapelles en ruine, qui ont été édifiées par les Grecs du Bas-Empire avec les débris des temples et des monuments des colonies grecques anciennes ; c’est du moins ce que j’ai cru reconnaître en regardant attentivement leurs bas-reliefs et leurs ornements, qui sont d’un style très-pur.


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Un cafedji ambulant


La ville turque ou ville close, dont nous venons de parler, et qui occupe la partie ouest de Trébizonde, est entourée d’une ligne de hautes murailles défendues par de grosses tours. Cette enceinte a pour bases d’énormes rochers qui dominent de larges ravins couverts d’une riche végétation.

Les murailles et les portes d’entrée disparaissent en partie sous un épais feuillage de lierre. Les plus importantes de ces portes sont construites avec des débris d’architecture grecque et romaine. L’une d’elles est ornée d’une grande inscription grecque, en face de laquelle s’est blottie l’échoppe d’un tabellion turc, officier public qui ne serait en France qu’un modeste écrivain.


V
La ville chrétienne. – Le grand bazar et ses richesses. – Usages des marchands.


La ville chrétienne n’est pas très-intéressante si l’on veut la considérer au point de vue de l’architecture pittoresque ; c’est là cependant que se trouve le principal bazar. La première fois que j’y entrai, je fus d’abord tout désillusionné en n’y trouvant qu’en très-petite quantité les marchandises d’Orient que j’espérais y voir ; je n’apercevais guère autour de moi que des contonnades, des draps et des bimbeloteries autrichiennes et suisses ; mais de fréquentes promenades me firent peu à peu découvrir les trésors cachés de ce bazar où le véritable amateur de curiosités orientales, s’il est muni d’argent, pourra s’abandonner avec joie aux plus agréables séductions.

Depuis les tapis les plus riches de la Perse, du Khorassan et de Smyrne, depuis les étoffes d’Alep, de Diarbekir et de Brousse, jusqu’aux bijoux du filigrane le plus fin et le plus admirable, on trouve là tout ce qu’on peut souhaiter : des pierres fines de grande valeur, des armes hors ligne, des monnaies anciennes, rares et précieuses ; mais il faut savoir les chercher dans les ruelles étroites et les sombres petites boutiques du Bit-Bazar (bazar des Poux), sorte de marché du Temple, où les tellalis (crieurs publics)