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À l’époque de la domination arabe, il y avait à Velez-Malaga et sur toute la côte, jusqu’à Marbella, beaucoup plus de moulins à sucre qu’on n’en voit aujourd’hui ; il y en avait encore un certain nombre au dix-septième siècle, comme le montre ce passage d’un voyageur français :

« Il y a aussi des salines et des moulins à sucre, qu’ils appellent ingenios de azucar, dont j’ay veû auprès de Marpella ou Marbella en Andalousie, où j’ai veû beaucoup de cannes de sucre, qui sont faites comme d’autres roseaux, mais qui ont au dedans une certaine moüelle, et une eaüe fort douce, car j’en ay cueilly par les chemins. »

Velez-Malaga a de brillantes pages dans son histoire ; quelques années avant la prise de Grenade, elle appartenait encore aux Mores, et Ferdinand le Catholique vint en personne faire le siége de la ville, une des dernières qui fussent restées au pouvoir des infidèles. La chronique de Hernando del Pulgar raconte que les assiégés ayant fait une sortie, le roi se trouva un moment entouré de plusieurs Mores qui voulaient s’emparer de sa personne ; le baudrier de son épée s’étant accroché au harnachement de son cheval, il ne pouvait se défendre et il allait être fait prisonnier, quand l’intrépide Garcilaso de la Vega, lançant son cheval au galop, mit les ennemis en fuite et parvint à délivrer son souverain, qui lui-même perça un More de sa lance. En souvenir de cet événement, Ferdinand donna pour armoiries, à la ville de Velez-Malaga, un roi à cheval revêtu de son armure et perçant un More de sa lance.

Nous quittâmes notre guide et nos montures à Velez, car la route de Malaga, exposée entre de hautes montagnes et la mer, à la réverbération d’un soleil africain, n’est guère praticable à cheval que pour les gens du pays, habitués à une température tropicale ; nous prîmes donc place sur l’impériale d’une diligence qui partait de grand matin, et avant midi nous faisions, au grand galop de nos dix mules, notre entrée dans Malaga.


Malaga. — L’Alameda ou le salon de Bilbao. — Les femmes de Malaga. — Le climat. — Les patios. — Chansons populaires de l’Andalousie : les Malagueñas. — Les ruines moresques. — La cathédrale. — Les statuettes de terre cuite.

Malaga la hechicera,
La del eternal primavera,
La que baña dulce el mar
Entre jasmin y azahar !

« Malaga l’enchanteresse, la ville au printemps éternel, que baigne doucement la mer entre le jasmin et l’oranger ! » Tel est le salut qu’adresse un poëte espagnol à une des plus charmantes villes d’Andalousie, et jamais louanges ne furent mieux méritées.

Dès notre arrivée à Malaga, nous nous étions installés à la fonda de la Danza, — l’hôtel de la Danse, — un nom tout à fait en harmonie avec l’aspect gai et animé de la ville, qui nous frappa dès notre arrivée, et qui contraste avec le calme et le silence des rues de Grenade.

Nous nous dirigeâmes d’abord vers l’Alameda, qu’on appelle aussi, nous ne savons trop pourquoi, le Salon de Bilbao ; c’est une grande allée, conquise autrefois sur la mer et plantée de deux rangées d’arbres magnifiques ; à une des extrémités, nous remarquâmes une grande fontaine en marbre blanc, ornée de nombreuses statues et d’un bel effet décoratif ; on dit que cette fontaine fut donnée en présent à Charles-Quint par la république de Gênes. Nous aurons plus tard l’occasion de parler de travaux de sculpture plus importants exécutés en Espagne par des Génois.

C’est à l’Alameda qu’on peut admirer la beauté des Malagueñas, célèbre dans toute l’Espagne,

Las Malagueñas
Son halagüeñas ;

dit un proverbe très-connu, et, à notre avis, jamais réputation ne fut mieux méritée ; moins sévère que la Grenadine, moins coquette que la Sévillane et que la Gaditane, la Malagueña se distingue des autres femmes andalouses par un teint plus ambré, par des traits plus réguliers, mais non moins expressifs ; des sourcils épais et bien dessinés, des cils longs et fournis donnent à leurs yeux noirs une profondeur et un charme qu’on ne saurait rendre ; elles savent à merveille, avec une simple fleur, un dahlia rouge ou blanc gracieusement posé derrière l’oreille, faire ressortir la beauté de leurs cheveux d’un noir bleu comme l’aile d’un corbeau.

Le climat de Malaga, qui diffère peu de celui de Velez, est un des plus doux de l’Espagne ; nous achetions dans les rues des cannes à sucre et des patates douces, — batatas dulces ; ces dernières sont une ressource importante pour les gens du peuple qui, avec quelques cuartos, en peuvent manger de quoi se rassasier ; aux angles des rues et sur le port, on voit des batateros qui font cuire leur marchandise en appelant les acheteurs au cri de : batatas ! ricas y gordas ! Leurs cris se confondent avec ceux des charranes, marchands de poisson, qui crient à tue-tête leurs boquerones, espèce de petites sardines, les pintarrojas, les calamares, les dentones et autres produits de la pêche méditerranéenne. Les charranes, dont nous parlerons un peu plus tard, portent leur marchandise dans des cenachos, paniers de jonc qu’ils tiennent suspendus à leurs coudes en appuyant les mains sur les hanches.

Les rues de Malaga ont conservé, dans certains quartiers, leur ancien aspect, et sont encore étroites et tortueuses comme à l’époque moresque ; beaucoup de maisons ont, comme celles de Grenade, un patio ou cour découverte entourée d’arcades et ornée de bananiers, d’orangers et d’une quantité d’autres plantes au milieu desquelles s’élance le mince filet d’un jet d’eau. C’est dans le patio qu’on se tient pendant les grandes chaleurs, et c’est là qu’ont lieu, pendant les belles soirées d’été, les tertulias, réunions où l’on danse parfois quelques pas andalous, comme le polo del contrabandista ou la malagueña del torero ; on y chante aussi au son de la guitare ces couplets si populaires en Andalousie sous le nom de malagueñas.