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Robolviendo sus cavallos ;
Jugando van de las lanças,
Ricos pendones en ellas
Labrados por sus amadas.

Perez de Hita célèbre encore les exploits du grand maître de Calatrava, ce brave chevalier dont la lance traversait de part en part les portes bardées de fer, et qui courait sus aux Mores à travers la Vega de Grenade :

Ay Dios ! Que buen cavallero,
El Maestre de Calatrava,
Y quan bien corre los Moros
Por la Vega de Granada !

On prétend que Vega signifie en arabe une plaine fertile : jamais étymologie ne fut mieux justifiée, et celle-ci est d’accord avec l’ancien poëte espagnol qui appelle la fraîche et bienheureuse Vega une douce récréation pour les dames, et pour les hommes une gloire immense :

Fresca y regalada Vega,
Dulce recreacion de damas
Y de hombres gloria inmensa !

Les derniers rayons du soleil couchant coloraient en rose les cimes les plus élevées de la Sierra Nevada quand nous arrivâmes à Pinos Puente : c’est sur le pont de Pinos que Christophe Colomb fut rencontré, au mois de février 1492, par un messager envoyé vers lui par Isabelle la Catholique, alors au camp de Santa Fé, devant Grenade ; la reine avait d’abord refuse d’écouter les propositions du grand homme qui voulait lui donner un nouveau monde, et Colomb s’éloignait du camp le cœur ulcéré, quand Isabelle, s’étant ravisée, envoya ce courrier sur ses pas.

Après avoir quitté Pinos Puente, nous passâmes près du Soto ou Bois de Roma, situé au pied de la Sierra de Elvira, à trois lieues de Grenade, et traversé par le Genil ; ce domaine qui contient, dit-on, près de deux mille hectares, fut donné par les Cortes au duc de Wellington à l’époque de la guerre de l’indépendance ; il appartient encore à sa famille, et est administré par un Anglais.

Nous continuâmes à cheminer près d’une heure dans la Vega ; bientôt nous aperçûmes la colline de l’Alhambra et ses tours, et peu de temps après nous entrions pour la seconde fois dans Grenade.


Départ de Grenade pour les Alpujarras. — Alhendin ; El ultimo suspiro del Moro ; la fin de Boabdil. — L’insurrection des Morisques. — La vallée de Lecrin. — Fernando de Valor. — La guerre dans les Alpujarras. — Padul. — Durcal. — Ginez Perez de Hita, soldat et historien. — Lanjaron, le paradis des Alpujarras. — Le Barranco de Poqueira. — Ujijar. — La Sierra de Gador. — La Puerto del Lobo. — Le Rio Verde et la Sierra Bermeja. — Berja. — Un mendiant centenaire.

Grenade est une de ces villes qu’on ne quitte qu’à regret : nous ne devions nous y arrêter à notre retour que pour prendre le repos nécessaire, et préparer notre expédition dans les Alpujarras ; mais l’Alhambra et le Généralife, les promenades au Sacro Monte et sur les bords du Genil nous retenaient comme malgré nous dans la poétique cité de Boabdil. Il fallut cependant songer au départ ; nous nous mîmes donc en quête d’un guide : notre ami Ramirez, le vieux nevero de la sierra Nevada, nous aurait convenu à merveille, mais ne pouvant entreprendre avec nous une aussi longue excursion, il nous mit en rapport avec un de ses camarades, et il se chargea de nous procurer les mulets qui devaient nous servir de montures et porter les alforjas aux provisions ; Manuel Rojas, dit Jigochumbo, surnom andalous qui lui venait sans doute de son teint, semblable au fruit du cactus, nous était recommandé comme un buen mozo, — un bon garçon, et il fut convenu qu’il nous servirait de guide à travers la partie la plus sauvage de l’Espagne, jusqu’à Almeria.

Nous quittâmes Grenade de bon matin, pour éviter la grande chaleur, et tout en retournant de temps en temps la tête pour dire adieu à l’Alhambra et aux Torres Bermejas que doraient les premiers rayons du soleil, nous commençâmes à cheminer à l’ombre des verts mûriers de la Vega. Après quelques heures de marche, nous atteignîmes la petite ville d’Aldenhin, située au sommet d’un rocher sauvage, comme la sentinelle avancée des Alpujarras. Lorsque le malheureux Boabdil, après avoir rendu aux rois catholiques la capitale de son royaume, prit le chemin de l’âpre contrée montagneuse qui lui avait été abandonnée comme fief par les vainqueurs, il s’arrêta quelques instants à Alhendin, le dernier point d’où il pût apercevoir Grenade ; on nous conduisit à l’endroit où la tradition prétend qu’il fit arrêter son cheval pour jeter un regard d’adieu sur sa chère capitale perdue, qu’il ne devait plus revoir. On assure qu’en regardant pour la dernière fois le paradis terrestre qu’il allait quitter pour une terre ingrate et sauvage, il s’écria : « Allah akhbar ! — Dieu est grand, et que son vizir Jousouf abou Tomixa, qui l’accompagnait, lui dit : Réfléchissez, seigneur, que les grandes infortunes, pourvu qu’on les supporte avec force et courage, rendent les hommes aussi fameux dans l’histoire que les plus grandes prospérités ! — Hélas, répondit Boabdil, quelles adversités égalèrent jamais les miennes ? et un torrent de larmes s’échappa de ses yeux : c’est alors que sa mère Ayesha se serait tournée vers lui en s’écriant :

« Pleure comme un enfant ton royaume, puisque tu n’as pas su le défendre comme un homme ! »

Rien, fort heureusement, ne prouve l’authenticité de ces paroles cruelles, bien peu dignes d’une mère qui n’était pas étrangère aux malheurs de son fils ; quoi qu’il en soit, le rocher est encore appelé El ultimo suspiro del Moro, — le dernier soupir du More, ou la cuesta de las lagrimas, — la côte des larmes.

On assure que lorsque le mot d’Ayesha fut rapporté à Charles-Quint, l’empereur répondit qu’elle avait eu raison, et qu’une tombe dans l’Alhambra valait mieux pour un roi qu’un palais dans les Alpujarras.

On n’est pas d’accord sur la fin de Boabdil. Marmol Caravajal prétend qu’il passa en Afrique, et qu’il fut tué dans une escarmouche en défendant la cause d’un petit