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sable à tous nos besoins, à nos arts, à la civilisation moderne : le fer.

Castle-Hotel nous ouvrit, à Merthyr Tydvil, ses chambres hospitalières, et nous attendîmes avec impatience le lendemain pour aller visiter les grandes usines de Dowlais, Cyfarthfa, Penydarren, situées aux alentours de la ville.

Dès notre arrivée, notre hôtesse, une bonne dame pleine d’attentions pour ses visiteurs nocturnes étrangers, nous fit servir quelques spiritueux (à défaut de bière, il faut toujours ingurgiter un peu d’alcool dans la vieille Angleterre), et comme elle n’était pas en humeur de dormir non plus que nous, elle voulut bien engager la conversation et répondre à quelques questions que nous lui fîmes. Nous étions curieux de connaître le nouveau pays où nous venions d’arriver, et il est si intéressant d’ailleurs, que notre curiosité était bien fondée.

Mistress Coxon (c’était le nom de la dame de Castle-Hotel), nous dit donc que nous étions dans un des centres industriels les plus importants de tout le Royaume-Uni, et ce que nous venions d’entrevoir au milieu des ténèbres, de la portière de notre wagon, nous le prouvait suffisamment. Elle ajoutait que née elle-même à Merthyr, elle avait vu sa ville natale grandir étonnamment, presque à vue d’œil, cela par le seul fait du travail de la houille et du fer répandu autour de Merthyr plus qu’en aucun point peut-être de l’Angleterre. La population de ce district, insignifiante il y a cinquante ans, atteint aujourd’hui plus de quatre-vingt mille habitants, vivant presque tous du travail des mines et des usines. Les forges de Dowlais seules occupent jusqu’à seize mille ouvriers.

Et comme nous demandions à notre hôtesse, encouragés par la complaisance avec laquelle elle nous donnait tous ces détails, quelle était la signification de ce nom de Merthyr Tydvil qui nous avait frappés entre tant d’autres noms gallois : « Tydvil, nous dit-elle, était fille de Brychan, un prince celte qui régnait sur le pays, et qui s’était fait chrétien. Les Saxons du voisinage, restés fidèles au culte de leurs dieux et ennemis jurés des Gallois, envahirent un jour les États de Brychan, mirent tout à feu et à sang, et massacrèrent le roi et sa famille. Tydvil ne fut pas épargnée. Plus tard, une chapelle fut élevée sur le lieu du massacre, et la localité prit le nom de Tydvil la martyre ou Merthyr Tydvil.

« Telle est la légende racontée par le martyrologe cambrien, nous dit en terminant mistress Coxon ; mais chacun peut en croire ce qu’il veut. » Nous en crûmes juste ce qu’il fallait pour ne pas passer pour des mécréants.

Nous avions demandé un guide pour visiter les usines et les mines aux alentours de Merthyr, et ne pas nous aventurer à la légère au milieu des houillères et des forges qui sont si répandues dans le pays.

Nous nous rendîmes d’abord à une mine de charbon située au voisinage des forges de Cyfarthfa. On tire de cette houillère un très-beau charbon, et l’installation de la machine fonctionnant sur le puits d’extraction est d’une disposition fort originale. C’est ce qu’on nomme en exploitation des mines une balance d’eau. Voici en quoi consiste essentiellement cet appareil. Autour d’une poulie en fonte de grand diamètre, établie sur l’axe du puits, circule un câble en fer, une chaîne. À chacune de ses extrémités cette chaîne porte une caisse cubique en tôle de fer. À la partie supérieure, la caisse est emplie d’eau (cette eau vient d’une conduite voisine) ; à la partie inférieure, on y loge les tonnes de charbon. Le volume de l’eau est calculé de façon à pouvoir l’emporter sur le poids de la chaîne et du combustible à extraire. De cette façon, dès que la caisse supérieure est pleine d’eau, la chaîne se met en mouvement et le charbon remonte au jour. On le vide à la surface sur la margelle du puits, tandis que l’eau, arrivée au fond, est rejetée par une soupape dans une galerie d’écoulement par où elle sort de la mine. Ce mode d’extraction de la houille, aussi simple qu’ingénieux, est en usage dans beaucoup de mines des environs de Merthyr Tydvil.

Il y a, dans la houillère que nous visitâmes, plusieurs couches de charbon exploitées. On rencontre, de plus, intercalées au milieu des couches de houille, différentes couches de minerai de fer compacte, homogène, d’une couleur gris terne, de la plus belle qualité.

C’est sans doute par une faveur singulière de la Providence que, dans le pays de Galles comme en quelques autres points de la Grande-Bretagne, le minerai de fer et le calcaire, c’est-à-dire le minerai et son fondant, se trouvent réunis dans la même mine à côté de la houille, ou du combustible indispensable à la fusion. Cette circonstance des plus favorables, qu’on ne retrouve pas ailleurs, donne entre tant d’autres faits une des raisons de la prééminence industrielle de l’Angleterre. Il ne faudrait pas croire que le caractère seul de ses habitants, froid, patient, énergique, a fait de l’Angleterre ce qu’elle est. Si la nature n’avait pris plaisir à répandre a profusion dans le sol britannique ce qu’elle n’a dispensé ailleurs qu’avec la plus grande parcimonie, la houille et les métaux, si elle n’avait pas découpé l’île elle-même de la façon la plus heureuse, si bien que presque partout sur le littoral on rencontre un port ou une rivière navigable, souvent dans le voisinage même des mines, on peut dire que, malgré toutes les qualités qui les distinguent, les Anglais ne seraient pas ce qu’ils sont : un grand peuple d’industriels, de marchands et de marins. La nature a seule préparé la situation. Le caractère des habitants, la pratique du self government ont fait le reste, sans doute ; mais ni le self government, ni la ténacité et l’application anglo-saxonne n’auraient créé ce magnifique état de choses, s’ils n’eussent été tout d’abord secondés par la nature. Ceci soit dit bien haut, et pour prévenir dès le début ceux qui, m’entendant célébrer les merveilles industrielles de la Grande-Bretagne, pourraient se prendre à regretter qu’il n’en soit pas de même en France. Si les Anglais avaient eu à lutter contre les mêmes difficultés que nous, difficultés de tous genres, physiques, géolo-