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teau gris. Sur un autre rocher c’était la mouette blanche (Larus eburneus) qui formait la majorité ; plus haut était la mouette à trois doigts, et enfin comme précédemment la mouette à manteau gris. Sur certains rochers, ce sont les pingoins (Alca alle) qui garnissent toutes les saillies jusqu’à la hauteur de 30 à 60 mètres, au-dessus, c’est le guillemot à miroir (Uria grille) en grand nombre ; ensuite le macareux du Nord (Mormon arcticus), et enfin le petit guillemot (Uria Brunnichii), qui se trouve au Spitzberg en troupes innombrables.

Sur ces rochers verticaux, les oiseaux sont à l’abri des poursuites de leur plus cruel ennemi, le renard bleu, aussi friand des œufs que des mères. Il n’en serait pas de même pour ceux qui nichent sur les îles basses que la glace unit au continent ; les eiders le savent si bien ; qu’ils ne s’y établissent jamais tant que l’île n’est pas entièrement entourée d’eau : sans cela toutes les femelles deviendraient la proie des renards. En effet, le nid est à terre, creusé dans le sable et enduit du précieux duvet que nous connaissons sous le nom d’édredon, et que la femelle arrache de son propre ventre. L’homme exploite cet instinct de la femelle de l’eider. Sur toute la côte de Norvége, les îles où les eiders viennent couver sont des propriétés d’un prix élevé. Un gardien logé sur l’îlot protége les eiders qui viennent faire leur nid jusque sous le seuil de sa maison. Un coup de fusil tiré dans une de ces îles est puni d’une forte amende. Deux fois le gardien enlève l’édredon qui tapisse le nid, après avoir éloigné doucement la femelle ; mais lorsque pour la troisième fois elle arrache le duvet de son ventre, il la laisse achever en paix sa couvée, car il sait qu’elle reviendra l’année suivante lui apporter un nouveau tribut.

Les palmipèdes dominent parmi les oiseaux du Spitzberg, parce qu’ils vivent tous d’animaux marins. Les trois échassiers : le sanderling, la maubêche noirâtre et le pharlope vivent au bord de la mer et près des petits étangs. Les deux premiers se nourrissent d’une petite larve de diptère très-commune dans la mousse, d’une espèce de lombric, ou de petits crustacés flottant à la surface de la mer, près du rivage ; le troisième recherche une petite algue sphérique qui paraît être un nostoc. Aucun oiseau insectivore ne pourrait subsister au Spitzberg où il n’y a ni coléoptères, ni lépidoptères, ni hémiptères, ni orthoptères.

Le lagopède, le bruant des neiges et les trois espèces de bernaches sont les seules espèces herbivores ; aussi ces oiseaux sont-ils rares, sauf la bernache cravant (Anser bernicla). Le lagopède est le seul qui hiverne, et son existence pendant l’hiver est un problème, comme celle du renne. Parmi les palmipèdes les mouettes ou goelands jouent le rôle d’oiseaux de proie, ce sont ceux qui se nourrissent spécialement de poissons, dépècent les cadavres des cétacés et s’abattent en nombre immense sur la baleine amarrée le long du navire pendant qu’on enlève de larges lambeaux de sa peau. Le stercoraire (Lestris parasitica) s’attaque aux autres oiseaux, les force à vomir la nourriture qu’ils ont avalée et la saisit en l’air pendant qu’elle tombe. Les pétrels vont chercher leur proie en pleine mer et suivent souvent les navires ; les autres oiseaux nagent à la surface des eaux et plongent pour y trouver leur subsistance : ce sont eux qui animent les côtes du Spitzberg : d’abord familiers, ils ne fuient pas à l’approche de l’homme ; les guillemots tournent autour des embarcations ; les hirondelles de mer effleurent la tête des rameurs dans leur vol rapide, mais les premiers coups de fusil mettent fin à ces familiarités, et au bout de quelques jours ces oiseaux si confiants deviennent méfiants et craintifs comme ceux des pays civilisés.

Je n’insisterai pas sur les autres classes du règne animal que j’ai déjà touchées incidemment à propos des animaux inférieurs dont se nourrissent les cétacés. C’est toujours la même pauvreté en espèces et la même richesse en individus pour celles qui s’accommodent de ce rigoureux climat. Il n’existe pas un seul reptile au Spitzberg. Les poissons appartenant à dix espèces de scorpænoïdes, de blennies, de saumons et de morues deviennent de plus en plus rares à mesure qu’on s’avance vers le Nord ; le merlan polaire[1] est seul commun.

Les mollusques côtiers sont rares. M. Torell n’a observé que la Littorina groenlandica, mais certaines espèces pélagiques sont très-abondantes, en particulier un mollusque ptéropode, la clio boréale, qui sert de principale nourriture aux baleines ; et d’autres appartenant à la classe des acéphales, des gastéropodes et des brachiopodes. Je donne en note la liste de celles que M. Torell a signalées[2] ; toutes se retrouvent dans les dépôts glaciaires de la Suède.

Quand on longe le rivage, au Spitzberg, il semble que la mer ne nourrisse aucun crustacé, mais quand on ouvre le gésier des oiseaux marins on le trouve rempli des débris de ces animaux et on est forcé d’en conclure que les crustacés abondent dans la mer Glaciale. M. Gœs énumère six espèces appartenant à la seule famille des crustacés décapodes à yeux pédonculés[3], famille à laquelle appartiennent les crabes, les bernard-l’hermite et les gécarcins.

Nous avons déjà dit qu’il n’existe que quinze espèces d’insectes au Spitzberg ; savoir quelques espèces de thysanoures, des diptères, des hyménoptères et une espèce de phrygane de névroptère. Les arachnides sont représentées par quatre ou cinq espèces d’Acarus.

Les animaux inférieurs appartenant à la classe des rayonnés ne sont pas encore bien connus ; mais on sait qu’il s’y trouve des étoiles de mer déjà figurées par Frédéric Martens, des méduses et des béroés qui, dans certains parages, sont tellement nombreux, que la cou-

  1. Merlangus polaris.
  2. Mya truncata, Saxicava rugosa, Pecten islandicus, Cardium grœnlandicum, Arca glacialis, Astarte corrugata, Leda pernula, Yoldia arctica, Natica clausa, N. Johnstonii, Tritonium norvegicum, T. cyaneum, T. clathratum, Trichotropis borealis, Terebratella spitzbergensis.
  3. Hyas araneus, L. ; Pagurus pubescens, Kroey ; Hippolyte Gaymardi, M. Edw. ; H. Phippsi, Kroey ; H. Sowerbyi, Leach, et H. polaris, Sab.