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quatre jours que j’y passai, de trouver un kilo de viande, bien que le pays voisin contienne force bétail ; les gens du lieu ne mangent que du pain et du chiro (sauce au poivre rouge), relevés de la chair d’un poisson du lac, que je déclare insipide au premier chef. Ce poisson est le même que les Abyssins appellent ambaça (lion), peut-être parce qu’il a des moustaches, — je veux parler des filaments cartilagineux qui pendent, en divergeant, des deux côtés de sa mâchoire. C’est un silure qu’on appelle boulti aux environs de Khartoum et dans le Kordofan, où on le trouve tapi, après la saison des pluies, dans les sables humides où l’on creuse des puits : M. Henry Duveyrier a également constaté sa présence dans le Sahara central.

Je ne trouvai autour de la ville qu’une ascension à faire, celle du mont Gundatimin, d’où l’on à une vue magnifique de presque tout le lac. Le regard embrasse successivement, de gauche à droite, le débouché de la jolie allée de Ghelda, la baie par laquelle s’échappe l’Abaï pour gagner la cataracte rugissante d’Alata, l’église de Bahardar qui la domine, les ondulations plus éloignées d’Ibaba et de Sakala, la presqu’île de Zegbié avec ses nombreux monastères, ses cultures de caféiers et toute la plantureuse végétation qui fait appeler cette presqu’île le jardin de l’Abyssinie, et, par-dessus la masse noire de l’île de Dek, la chaîne doucement azurée du Gorgora, dans le voisinage de Tchelga et de Gondar. Sur la droite, les monts de Ferka, de Tisbha et de Kobkoubié s’accentuent plus vigoureusement.

Mais un trait particulier du Tana, ce sont les dix ou douze îles microscopiques, comme Bet-Manso, Kibran, Metraha, qui, aperçues de la terre ferme, semblent des corbeilles flottantes, pleines d’une vive et sombre verdure. Vus de près, ces bouquets sont de belles futaies qui cachent dans leurs massifs des monastères ou des églises vénérées. J’ai déjà fait observer avec quelle intelligence


Mahdera-Mariam (voy. p. 263). — Dessin de Eugène Cicéri d’après un croquis de M. G. Lejean.


délicate des grandeurs sévères de la nature les moines abyssins avaient choisi leurs pieux retraits. J’ai du reste remarqué la même entente du beau chez les fondateurs de certaines abbayes en France, en Bretagne principalement. Certes, qui aura vu Landévenec, Saint-Mahé, Beauport, Boquien ou Prières, ne me donnera pas un démenti.

La marine de Koarata, composée d’une file de tankoa qui séchaient sur la rive, témoignait d’un assez grand mouvement de circulation entre la ville et les districts du sud et de l’ouest, principalement de Zéghié. Ces tankoa, un peu différentes de celles que j’ai déjà décrites, portaient une voile faite de la même matière que le corps de l’embarcation. La toile à voile est inconnue en Abyssinie, et le coton serait beaucoup trop cher.

Je voulus louer une tankoa pour aller à Zeghié ; mais ce lieu était au pouvoir des rebelles du Godjam, et des ordres avaient été donnés à Koarata à l’effet de m’empêcher de trop vaguer à droite ou à gauche. J’aurai›s pourtant voulu voir Dek et son fameux monastère, lieu de déportation des évêques abyssins déposés pour crimes graves. M. d’Abbadie a été, il y a vingt ans, plus heureux que moi, et avant lui Poncet y avait accompagné le négus, qui y avait, suivant notre voyageur, un palais ne le cédant pas en beauté à celui de Gondar, bien qu’il ne fût pas aussi grand. Tout en faisant mes réserves légitimes sur cette prétendue splendeur dont il ne reste pas de trace, pas même dans la mémoire populaire, j’emprunte à Poncet la description des lieux qu’une politique ombrageuse ne m’a pas laissé visiter.

« Nous demeurâmes trois jours dans ce palais ; il a une double enceinte de murailles et deux églises desservies par des religieux qui vivent en communauté ; l’une des églises est dédiée à saint Claude et donne son nom à cette île qui a environ une lieue de circuit. Un des trois jours que nous fûmes dans ce lieu, on vint avertir