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ture que sont les notres : ayant autour un circuit en façon de cloître, dont la couverture dépend de celle de l’Église, laquelle a trois portes : l’une en front, et les deus autres en flanc par le my-lieu : et est le couvert d’icelle, et celui du cloitre fait de paille sauvage, qui néanmoins ne laisse de durer autant, ou plus que le cours de la vie d’un homme. Le comble de l’Église est embelly de nefs enrichies d’ouvrages tres exquises, avec leurs arcs bien serrez et ordonnez : si qu’il semble, que tout le pourpris de dedans soit fait et courbé en voute. Il y a un petit chœur derrière le grand autel, auec la croisée au devant, ou sont penduës des courtines, qui tiennent d’un bout à autre : et d’autres devant la porte du my-lieu, léquéles sont de soye, continuans d’une muraille à l’autre : et donnent icelles courtines entrees par trois lieus, étant ouvertes, ou fenduës par le my-lieu, et rejoignant toutes l’une auec l’autre : et ainsi se serrent auprès {{sic2[dés}} murailles. Et en ces trois entrees, y à de petites campanes de la grandeur de celles de Saint Antoine, attachées à cés courtines, telement que un homme n’y saurait passer sans leur faire rendre son. Il n’y à que un seul Autel, qui est en la grande chapelle, sus le-quel est un poile, posé sus quatre colonnes, dressées aus quatre angles de l’autel, qui soutiennent iceluy poile, ramassé quasi comme en voute : et est l’autel fourny de pierre sacrée, qu’ils appellent Tabuto : sus laquele est posé un fort grand bassin de bronze qui est plat par embas, avec l’orle basse, qui va toucher toutes les quatre colonnes de l’Autel : pour-autant qu’elles sont plantées en diametre quarré : et dans iceluy bassin, est mis vn autre plus petit. Puis par derrière, et des deus cotez du poile, descend une courtine, laquelle couvre tout l’Autel, jusques au plain : sinon que le deuant demeure ouvert.

« Ils ont des campanes (cloches) qu’ils portent en main allant en procession, et tous ensemble lés sonnent aus


Le mont Dongours. — Dessin de Eugène Cicéri d’après un croquis de M. G. Lejean.


fêtes, car és autres jours ils se seruent seulement de celles de pierre et de fer. Ils sonnent matines deux heures avant jour, léquelle ils chantent par-cœur, sans auoir lumière, sinon une lampe, qui ard devant l’Autel ; dans laquelle ils mettent du beurre, par faute d’huile. Mais le plus beau du jeu est à lés ouir chanter, car ils dégorgent une voix la plus dépiteuse et désordonnee, qu’il est possible : crians et hurlans comme ceux qui le font sans art : à cause de-quoy ils rendent une piteuse harmonie. »

Le couvent de Goeref était sous le vocable du grand saint national de l’Abyssinie, saint Thekla Haïmanot : c’était une des plus jolies retraites que pût désirer, je ne dis pas une congrégation d’ascètes ayant fait vœu de mortifications en tout genre, mais un groupe de philosophes amis d’une solitude studieuse, embellie de tous les accessoires que peut offrir la nature à ses admirateurs délicats. Au bord d’une limpide rivière, adossée à un coteau tapissé d’une épaisse forêt, dormait le monastère, ou plutôt le village monastique. Qu’on se figure un hectare environ de terrain clos d’une haie vive, renfermant douze ou quinze enclos également fermés de haies et contenant chacun une cabane de moine : entre tous ces jardinets, une ruelle étroite formant une sorte de labyrinthe et faisant communiquer toutes les cellæ avec l’église abbatiale. Le tout était d’une douceur gracieuse et riante, et ne portait guère à l’ascétisme. Les moines qui demeuraient là étaient de fort honnêtes gens, sincères et convaincus, comme tous les moines abyssins, et devaient fermer volontairement les yeux à toute cette nature aux séductions pénétrantes, pour nourrir leur esprit des contes bleus dont la sottise superstitieuse du clergé copte a infecté le christianisme abyssin.

G. Lejean.

(La suite à la prochaine Livraison.)