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se reposer à son ombre. Ce soir-là, vers les dix heures nous atteignîmes le pied d’un de ces plateaux-bastions qui forment à peu près toute l’Abyssinie, et nous le gravîmes avec quelque difficulté ; arrivés au sommet, nous trouvâmes une assez belle terrasse dont on venait de brûler les herbes sèches, et qui nous parut favorable à notre halte de nuit. Décharger les bagages, souper, attacher nos mules à des arbres autour de notre feu à demi éteint, fut l’affaire de quelques instants. Nous étions éreintés, et rassurés par notre position sur un terrain découvert, nous nous endormîmes sans inquiétude.

Un peu après minuit un vacarme épouvantable nous réveilla en sursaut. Les mules hennissaient de terreur ; l’une d’elles avait cassé sa longe et s’était sauvée dans le bois ; Ahmed tirait des coups de fusil au hasard : une bête féroce, une hyène probablement, avait causé tout ce vacarme en venant rôder autour de nos montures. Il fallut attendre au matin pour faire le tour du plateau, suivre la piste de la mule échappée sur les cendres des herbes brûlées, et revenir au campement sans avoir rien trouvé. J’eus, quelques jours plus tard, des nouvelles de la fugitive. Elle avait retrouvé sa route à travers bois, et était arrivée à Gallabat, après une course de vingt lieues et malgré une grave morsure au flanc : Eipperlé la recueillit, la pansa et parvint à la guérir.


Methonica superba. — Dessin de A. Faguet d’après l’herhier de M. G. Lejean.


Repartis de ce lieu malencontreux au lever du soleil, nous arrivions, quatre heures plus tard, à Voehnè, premier village abyssin, fameux par son marché hebdomadaire ou les neggadé (marchands abyssins) viennent acheter le coton de Gallabat et du Sénnâr. C’était le samedi, et nous tombions en plein marché : nous n’eûmes pourtant pas à nous plaindre de l’empressement indiscret de la foule.

Je ferai remarquer, une fois pour toutes, que l’étranger qui voyage en Orient n’excite pas, quelle que soit l’étrangeté et parfois le ridicule de son costume, la dixième partie de la curiosité insolente et désagréable qui accueillerait, dans les villages de notre Europe civilisée, un voyageur arabe ou abyssin drapé dans ses nobles et amples vêtements.

Nous étions campés sous un arbre, pendant que nos guides allaient prévenir le nagadras (sorte de maire douanier), et je feuilletais, pour tuer le temps, un livre illustré, le Rhin, de Victor Hugo, pendant que Dufton esquissait le pic dénudé qui domine Voehnè. Le beau sexe, inévitable trait d’union en pareille circonstance, se rapprochait de nous avec une curiosité craintive, regardait les images par-dessus mon épaule : une jeune femme se campa près de moi et engagea la conversation en me demandant si j’étais chrétien.

Et là-dessus, elle entr’ouvrit sa chemise. J’eus, in