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seulement au milieu du jour que la surface du glacier est parcourue par de petits filets d’eau qui tombent quelquefois en cascade dans la mer, mais s’arrêtent dès que le soleil cesse de luire ou que la température s’abaisse. Cependant j’ai observé des aiguilles sur les parties latérales du grand glacier de Bellsound ; mais il n’en existait plus sur celui de Magdalena-Bay au nord du Spitzberg. Les crevasses transversales de ces glaciers sont souvent très-larges et très-profondes.

La grotte azurée de l’Arveyron creusée dans le glacier des Bois près de Chamounix, celles des glaciers de Grindelwald et de Rosenlaui, dans le canton de Berne, tant admirées des touristes, sont des miniatures comparées aux cavernes ouvertes dans l’escarpement terminal des glaciers du Spitzberg. Un jour que j’avais pris des températures de la mer devant le glacier de Bellsound, je proposai aux matelots qui m’accompagnaient d’entrer avec l’embarcation dans une de ces cavernes. Je leur exposai les chances que nous courions, ne voulant rien tenter sans leur assentiment. Ils furent unanimes pour accepter. Quand notre bateau eut franchi l’entrée, nous nous trouvâmes dans une immense cathédrale gothique ; de longs cylindres de glace à pointe conique descendaient de la voûte, les anfractuosités semblaient autant de chapelles dépendantes de la nef principale, de larges fentes partageaient les murs et les intervalles pleins, simulant des arceaux, s’élançaient vers les cintres ; des teintes azurées se jouaient sur la glace et se reflétaient dans l’eau. Les matelots, tous Bretons, étaient comme moi, muets d’admiration ; mais une contemplation trop prolongée eût été dangereuse ; nous regagnâmes bientôt l’étroite ouverture par laquelle nous avions pénétré dans ce temple de l’Hiver, et revenus à bord de la corvette, nous gardâmes le silence sur une escapade qui eût été justement blâmée. Le soir nous vîmes du rivage notre cathédrale du matin s’incliner lentement, puis se détacher du glacier, s’abîmer dans les flots et reparaître émiettée en mille fragments de glace que la marée descendante entraîna vers la pleine mer.

Tous les voyageurs qui ont vu les glaciers des Alpes ont été frappés du grand nombre de blocs de pierre gisant à leur surface. Ces blocs proviennent des montagnes voisines qui s’écroulent, été comme hiver, et recouvrent le glacier de débris : plus les montagnes qui le dominent sont élevées et plus les débris sont nombreux. Ces accumulations de roches brisées, appelées moraines, ne sont pas dispersées au hasard : les unes forment de longues traînées sensiblement parallèles disposées le long des bords du glacier, ce sont les moraines latérales : les autres occupent la partie moyenne du champ de glace, on les appelle moraines médianes : elles sont le résultat de la réunion des moraines latérales de deux glaciers qui se confondent en un seul. De même, au confluent de deux rivières dont les eaux sont de couleurs différentes, on reconnaît au milieu du fleuve formé par la réunion des deux rivières une coloration due au mélange des eaux de chaque affluent. Dans sa progression incessante, le glacier entraîne, comme le ferait un cours d’eau, les débris dont il est chargé ; arrivés à l’extrémité terminale, ces débris tombent l’un après l’autre sur le sol au pied du glacier. Leur accumulation produit une digue concentrique à l’escarpement du glacier : cette digue se nomme moraine terminale. En Suisse, certains glaciers, celui de l’Unter-Aar, la mer de glace de Chamounix, le glacier du Miage, celui de Zmutt, près de Zermatt, sont couverts de blocs de pierre, sous lesquels la glace disparaît presque totalement ; cela tient à ce que ces glaciers sont dominés par de très-hautes montagnes composées de roches qui se fendent, se fragmentent et se démolissent perpétuellement. Au contraire, au Spitzberg les montagnes peu élevées sont pour ainsi dire enfouies dans les glaciers ; leur pointe seule fait saillie hors des masses de glace qui les entourent ; peu de débris tombent donc sur les glaciers. Il en résulte que les moraines sont moins considérables. Ajoutons encore que les glaciers du Spitzberg correspondent à la partie supérieure des glaciers de la Suisse, à celle qui est au-dessus de la limite des neiges éternelles, ou si l’on aime mieux, au-dessus de la limite de la végétation arborescente. Or, plus on s’élève sur un glacier des Alpes, plus les moraines latérales et médianes diminuent de largeur et de puissance, jusqu’à ce qu’elles s’amincissent et disparaissent enfin sous les hauts névés des cirques dont le glacier n’est qu’un émissaire, de même que les torrents des montagnes prennent souvent leur source dans un ou plusieurs lacs étagés dans les hautes régions. Pour toutes ces raisons, les moraines latérales et médianes sont peu apparentes sur les glaciers du Spitzberg ; un certain nombre de blocs se remarquent sur les bords et quelquefois au milieu, mais la glace ne disparaît jamais comme dans les Alpes sous la masse des débris qui la recouvrent. Quant aux moraines terminales, c’est au fond de la mer qu’il faut les chercher, puisque l’escarpement terminal la surplombe presque toujours ; ainsi les blocs de pierre tombent avec les blocs de glace et forment une moraine terminale sous-marine dont les deux extrémités sont parfois visibles sur le rivage. M. O. Torell a remarqué que partout, près de la côte du Spitzberg, le fond de la mer se composait de blocs et de cailloux, rarement de sable ou de limon. Il a retrouvé sur les glaciers du Spitzberg toutes les particularités notées sur ceux des Alpes : la stratification de la glace, les bandes bleues et l’action sur les roches encaissantes, qui sont arrondies, polies et striées comme celles de la Suisse.

Les glaciers descendant jusqu’à la mer, il n’y a ni fleuves ni rivières au Spitzberg. Quelques faibles ruisseaux s’échappent quelquefois des flancs du glacier, mais ils tarissent souvent. Le sol étant toujours gelé à quelques décimètres de profondeur, les sources sont inconnues dans ces îles.

La géologie des côtes occidentales du Spitzberg a été étudiée par Keilhau, les membres de la commission française, et, dans ces derniers temps, par MM. Nordenskiöld et Blomstrand. Sans entrer dans des détails peu intéressants pour le lecteur, je dirai que les montagnes du Spitzberg sont formées en général de roches cristal-