Page:Le Tour du monde - 12.djvu/102

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nous passâmes la soirée au village Mir dont la mosquée nous servit de karavanséraï. Elle s’élève au centre d’un joli parterre.

De Mir nous allâmes à Kette-Kurgan (grande forteresse), c’est le chef-lieu d’une province, et on y trouve les cordonniers les plus renommés de tout le Khanat. Cette place forte est protégée par une épaisse muraille et par un fossé profond.

De Kette Kurgan, un chemin spécial conduit à Karshi en traversant le désert, et on prétend qu’il abrége de quatre lieues le trajet habituel de ce point à Samarkand ; mais les voyageurs qui le prennent sont obligés d’emporter avec eux leur provision d’eau.

Laissant derrière nous Karasu, localité de quelque importance, nous arrivâmes à Daul, la cinquième et dernière station avant Samarkand. Le chemin longeait la cime de quelque hauteur d’où nous pouvions apercevoir sur notre gauche une certaine étendue de forêts. Elles vont à ce qu’on m’assure jusqu’à mi-chemin de Bokhara, et servent de retraite à deux tribus ozbegs, les Khitai et les Kiptchak souvent en guerre avec l’émir.

Les renseignements que j’avais recueillis à Bokhara diminuaient sensiblement à mes yeux l’importance historique de Samarkand. Cependant lorsqu’on me montra du côté de l’Orient la montagne Chobanata au pied de laquelle était située, me disait-on, cette Mecque du Turkestan, j’éprouvai un sentiment difficile à décrire. Je gravis avec peine une colline élevée d’où m’apparut, au milieu d’une belle campagne, la capitale de Timour. Ses dômes, ses minarets de couleurs diverses, noyés dans les splendeurs du soleil matinal, l’originalité du tableau qui se déroulait à ma vue, produisirent sur moi une première impression tout à fait agréable.

La cime du Chobanata est arrondie en forme de dôme et couronnée par un petit édifice où repose le saint patron des pasteurs qui lui a donné son nom. Au-dessous est la cité. Sa circonférence égale celle de Téhéran. Quoique les maisons y soient beaucoup plus éparses, néanmoins les massifs de ruines et les édifices les plus en vue lui donnent un aspect tout autrement majestueux. Le regard s’arrête d’abord sur quatre monuments élevés en forme de demi-dôme qui servent de façades ou si l’on veut de propylées aux medresses (colléges). De loin, il semble former un seul groupe ; quelques-uns, par le fait, sont à l’arrière-plan. Sur la limite sud-ouest de la ville, s’élève, au sommet d’une colline, l’arche ou citadelle, qu’entourent d’autres bâtiments, tombes ou mosquées. Tous ces édifices sont séparés les uns des autres par des jardins touffus. Malheureusement l’impression produite par l’extérieur de la cité s’affaiblit à mesure que l’on approche.

Nous allâmes descendre d’abord dans un karavanséraï voisin du bazar, où les hadjis peuvent se prévaloir d’une hospitalité gratuite ; mais bientôt nous fûmes invités à venir occuper une maison particulière, située près du tombeau de Timour.

La rentrée du souverain à l’issue de la campagne victorieuse qu’il venait de faire dans le Khokand étant annoncée comme très-prochaine, nos compagnons voulurent bien attendre, par égard pour moi, que j’eusse été présenté à l’émir, et qu’il m’eût été possible d’organiser mon voyage de retour avec quelques autres hadjis de passage. En attendant j’employais mes journées à visiter tout ce que la ville peut offrir de curiosités anciennes ; et, à cet égard, nonobstant son aspect misérable, il n’est rien dans l’Asie centrale qui puisse lui être comparé. Les divers endroits où l’on vient en pèlerinage se comptent ici par centaines. Nous ne signalerons que les plus remarquables.

Le Hazreti-Shah-Zinde (le palais d’été de Timour[1]). — Ce palais conserve encore aujourd’hui les traces évidentes de sa splendeur ancienne. Ses bâtiments sont situés sur un exhaussement du sol, et on y arrive par quarante degrés de marbre. Au sommet est un pavillon sis à l’extrémité d’un petit jardin. Là plusieurs étroits corridors mènent à une grande pièce d’où vous arrivez par un corridor obscur à la tombe du saint, pour le moins aussi ténébreuse. Dans les diverses salles les briques de couleur et le pavé de mosaïque brillent du même éclat que s’ils étaient sortis la veille des mains de l’ouvrier.

Mesdjidi Timour (la Mosquée de Timour, située au midi de la ville) : ses dimensions et ses décorations en briques peintes rappellent la Medjidi-Shah d’Ispahan bâtie par ordre d’Abbas II, mais son dôme affecte la forme d’un melon. Les inscriptions tirées du Koran, rehaussées d’or, sont les plus belles que j’aie vues après celles des ruines de Sultanieh.

L’arche (citadelle). — On gravit pour monter à la citadelle une pente assez escarpée. Le Talari-Timour ou « salle d’audience de Timour » est une longue cour étroite entourée d’une espèce de cloître ou de trottoir couvert. Sur la face opposée aux spectateurs se trouve la célèbre Köktash (pierre verte) dont Timour avait fait le marchepied de son trône. Cette pierre qui a dix pieds de long et quatre de large, a été transportée, dit-on, de Brousse à l’endroit où on la voit aujourd’hui. Dans le mur sur la droite de la Köktash est une plaque de fer ovale et bombée qui ressemble à la moitié d’une noix de coco : une inscription arabe y est gravée en caractères kufites. On prétend qu’elle a été enlevée au trésor du sultan Bayazid-Yildérin et qu’elle a servi d’amulette à l’un des kalifs. Les émirs, en montant sur le trône, viennent rendre hommage à la Köktash.

Turbeti-Timour (le sépulcre de Timour). — Ce monument, placé au sud-ouest, consiste en une élégante chapelle, couronnée d’un dôme splendide et entourée d’un mur ; dans ce mur extérieur s’ouvre une haute porte en arceaux des deux côtés de laquelle se dressent deux petits dômes reproduisant en miniature celui dont nous venons de parler. L’espace compris entre la muraille et la chapelle est planté d’arbres. L’entrée de la chapelle est à l’ouest et sa façade regarde le sud (kible) ainsi que le veut la loi. Au milieu, sous le dôme, c’est--

  1. C’est Tamerland, né en l’an 736 de l’hégire (1336 de J. C.).