Page:Le Tour du monde - 11.djvu/2

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

permis de lui donner plus d’importance ; les grands navires à vapeur restent en rade.

De Stora, on peut se rendre par terre à Philippeville ; la distance est de trois à quatre kilomètres que l’on franchit aisément à l’aide d’un petit service d’omnibus ; mais plus d’un voyageur préfère longer cette belle côte en canot.

Philippeville, toute nouvelle et déjà florissante, a été bâtie, sous le règne de Louis-Philippe, en 1838, sur les ruines de l’ancienne cité romaine Russicada, en vue d’établir une communication directe de Constantine avec la mer. Son aspect est très-pittoresque ; ses constructions sont élégantes, ses champs fertiles, ses montagnes couvertes de bois. Ses fortifications ne manquent pas d’un certain caractère. Elle est destinée à devenir le centre de transit et d’entrepôt de l’Algérie orientale avec l’Europe. Plus loin, à quelques kilomètres, les villages de Vallée et de Damrémont consacrent de grands souvenirs.

Le lendemain, Bone s’offrit à nos yeux, derrière une falaise, dans le fond ouest du golfe qui porte le même nom. Au nord de la ville, sa citadelle ou Kasba couronne une colline haute de cent cinq mètres. À six kilomètres s’élève majestueusement le mont Édough vers l’embouchure de la petite rivière Seybouse, dont les plaines s’étendent au sud. À quelques milles de la Seybouse, on rencontre la Bondjima.

Entre ces deux rivières, qui se joignent avant d’aller se perdre dans la mer, on aperçoit, sur un mamelon couvert d’orangers, de figuiers et d’oliviers, les restes d’Hippone. Cette ancienne ville, dont saint Augustin fut l’évêque, a éprouvé de nombreuses péripéties : résidence des rois numides, conquise par les Romains ; détruite par les Vandales ; rebâtie, dit-on, par Bélisaire ; reprise et détruite par les Arabes, ce n’est plus aujourd’hui qu’une ruine.

Sous les Turcs, Bone était d’un aspect misérable et triste ; elle est aujourd’hui agréable, on pourrait presque dire élégante et coquette ; elle semble vouloir reconquérir le surnom d’Aphrodisium qui sert à la désigner sur les anciens itinéraires (peut-être le plus beau de ses temples était-il dédié à Vénus).

Les Arabes l’appellent Beled-el-Haneb (ville des jujubiers). En effet, ces arbrisseaux abondent alentour ; on fait sécher leur fruit au soleil et on le conserve pour l’hiver. Mais ce ne sont là ni ses seuls produits ni même les plus considérables. « Les richesses de toute nature, dit M. Jules Duval[1], y sont réunies : terres d’une merveilleuse fécondité, eaux abondantes, bois magnifiques, minerais de fer. »

Quelques heures d’un sommeil paisible nous ont fait oublier les fatigues de la mer.

Nous sommes sortis de Bone à six heures du matin ; le soleil levant était splendide ; les montagnes nous paraissaient revêtues d’une teinte légère et d’une délicatesse infinie, quelque chose de doux et de vague entre le bleu et le rose.

Nous avons voulu visiter Hippone et ce que le temps a épargné de ses citernes, de ses hardis aqueducs et de ses larges quais. Nous avons parcouru les jardins de Saint-Augustin, situés à un mille ; leurs allées bien alignées sont bordées jujubiers, de mûriers, de figuiers, d’amandiers, de citronniers, d’orangers, dont les parfums nous enivraient. De temps en temps passait un Arabe à cheval ou un Bédouin en haillons. Ces apparitions, plus vivement encore que le spectacle de cette nature nouvelle, me rappelaient que je n’étais plus en Europe. Ils étaient en harmonie avec cette scène éblouissante ; ils en étaient les vrais personnages ; ils étaient chez eux ; moi, j’étais un étranger : mon costume me semblait faire tache.

Ce ne fut pas sans regret que je m’éloignai de ces paysages délicieux. « Je veux y revenir un jour, » me disais-je comme tous les voyageurs dans leur premier élan d’admiration. Mais il y a longtemps que les philosophes ont remarqué combien nos désirs sont loin d’être en rapport avec la brièveté de notre vie : pour les épuiser tous il faudrait, sur la terre même, une éternité.

Nous sommes sortis de la rade de Bone par un mistral à tout briser.

La Calle, limite de la régence de Tunis, est la première ville que l’on rencontre en venant de Bone : elle est construite sur un rocher et entourée de tous côtés par la mer, excepté au sud ; le rocher est blanc comme neige. Une compagnie d’infanterie en a la garde.

La Calle se relie à la terre ferme par une plage de sable. Dès que le mauvais temps arrive, elle se transforme en île. C’est le vent du nord-ouest qui la tourmente le plus.

Sa baie est, dit-on, peu sûre ; des bateaux de pêcheurs s’y abritent de leur mieux.

La chasse autour de la Calle est abondante ; on vend sur le marché de délicieuses bécasses, des perdrix grises, des lièvres, des sangliers petits, mais exquis.

En 1603, sous le règne de Henri le Grand, une compagnie de commerçants français avait obtenu du dey d’Alger l’autorisation de s’établir pour pêcher le corail dans une petite anse qui s’ouvre à peu près à quatre lieues de la Calle, du côté de l’ouest, à un endroit appelé le Bastion-de-France. En 1680, pendant la guerre avec l’Algérie, nos pêcheurs avaient abandonné ce poste isolé et étaient venus se fixer à la Calle. L’établissement fut incendié, en 1826 ou 1827, lors de la déclaration de guerre entre Alger et la France ; de loin on en peut voir encore les murailles et se rendre compte de sa position.

La pêche du corail est encore aujourd’hui l’industrie


    1835 : — Univers pittoresque : Afrique moderne ; Tunis, par le docteur L. Frank ; — Précis historique, par J. Marcel, Paris, 1850 ; — Description de la Régence de Tunis, par E. Pelissier, in-8, 1 vol., Paris, 1853 ; — Notice sur la Régence de Tunis, par M. J. H. Dunant, 1 vol. in-8 ; Genève, 1858 ; — Voyage archéologique dans la Régence de Tunis, par M. V. Guérin, 2 vol. in-8 ; Paris, 1862.

  1. Tableau de l’Algérie. Manuel descriptif et statistique de l’Algérie, contenant le tableau exact et complet de la colonie sous les rapports géographique, agricole, commercial, industriel, maritime, historique, politique, etc., à l’usage des administrateurs, des commerçants, des colons et des voyageurs en Algérie, par M. Jules Duval, avec une carte. Paris.