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la lutte des différents ordres religieux, et à l’esprit d’empiétement qui gouvernait alors les missions catholiques.

Les hoeï-hoeï sont au nombre de 500 000 environ dans le Céleste-Empire, d’après le dernier recensement.

Ils ont des mosquées dans toutes les grandes villes : à Canton, on trouve le Kouang-t’ah ou pagode brillante, au pied de laquelle est une mosquée élevée il y a mille ans, mais c’est surtout Hang-tcheou qui est le centre du mahométisme en Chine.

À Suan-hoa-fou, on commence à rencontrer des caravanes de Mongols : ils campent à l’intérieur de la ville dans de grands enclos réservés, où s’établit de suite un marché de revendeurs chinois qui les volent tant qu’ils peuvent. Ces Mongols apportent des fourrures, des viandes et du gibier qu’ils échangent à grande perte contre le rebut des marchandises du pays.

Le 22 mai, à huit heures et demie du matin, la cavalcade, à laquelle s’était joint le vénérable pro-vicaire de Mongolie, traversait les faubourgs de la ville.

Au nord-ouest de Suan-hoa, en dehors de l’enceinte murée, la route passe au milieu de l’ancien parc du palais impérial ; comme il fait encore partie du domaine de l’empereur actuel, on l’a respecté et on ne l’a pas rendu à la culture ; on y voit des gazons verts entourés de massifs d’arbres centenaires ; des constructions de toute espèce, délabrées, mais rendues plus pittoresques encore par la mousse et les plantes grimpantes qui les recouvrent ; des lacs, des rivières, des cascades, couverts des plantes aquatiques les plus variées ; nénufars jaunes ; nymphæas blancs et rouges, nélumbos, dont la fleur en forme de coupe est d’un bleu d’azur avec des étamines semblables à des papillons qui volent ; sur des rocailles artificielles, des statues de lions, de tigres, toutes noires de vétusté, et des balustrades en marbre blanc autour desquelles s’enroulent des guirlandes de lierre. Il y a cinq cents ans que ce beau parc a été planté, et depuis ce temps la nature, qui en est restée la seule maîtresse, l’a revêtu de toutes ses magnificences que ne saurait imiter la main des hommes.

Ces futaies, séculaires sont formées d’essences d’arbres particuliers au nord de la Chine : on y remarque des sapins à troncs rouges, dont l’écorce semblable à la peau des serpents forme des losanges écailleux, des cèdres gigantesques de la même espèce que ceux de la sépulture des Mings, des robiniers, des saules pleureurs et des peupliers dont le feuillage jaune et transparent ressort sur les masses sombres des arbres verts.

Au-dessus de tous ces grands arbres s’élève comme une immense colonne le pin Pei-go-song, au feuillage élégant et découpé, dont le tronc et les branches sont d’un blanc d’argent éclatant.

Les Chinois prétendent que quelques-uns de ces pins ont plus de deux mille ans ; son bois passe pour incorruptible et l’arbre lui-même serait impérissable.

Le parc impérial est très-vaste ; il fallut près d’une heure pour le traverser ; autour de son enceinte, on remarque des sépultures disséminées çà et là dans la campagne : ce sont des centres demi-circulaires devant lesquels sont rangés les cercueils recouverts d’un peu de terre et formant de légers monticules (nulle part, en Chine, on ne creuse de fosses pour enterrer les morts). Ces sépultures, qui servent à toute une famille, sont facilement reconnaissables aux arbres alignés derrière chaque tombeau.

La route se continue ensuite dans une belle vallée qui relie Suan-hoa-fou à Tchan-kia-keou ou Kalgan.

À gauche, on côtoie des rochers au pied desquels est le lit d’un torrent, où il ne reste de l’eau que dans des cavités peuplées de tortues.

Peu à peu de grandes dunes de sable succèdent aux rochers, et le passage devient très-difficile : les chevaux et les mulets n’avancent qu’à grand-peine au milieu de ce terrain où ils enfoncent à chaque pas ; la chaleur est étouffante, et l’air respirable est plein d’une poussière épaisse ; la route tracée se perd au milieu de ces sables et fait place à une suite interminable de petites collines mouvantes.

« Nous sommes arrivés à onze heures à la station de Julin, mourants de soif et suffoqués par la chaleur ; aussi l’aspect de l’auberge, avec sa cour plantée d’arbres et le tapis vert qui l’entoure, nous a fait pousser à tous des exclamations de joie, lorsqu’au détour du chemin nous l’avons aperçue coquettement assise au fond de la vallée.

« Cependant, la première réception qui m’y a été faite n’était pas rassurante : une énorme chienne de Mongolie s’est précipitée de mon côté en aboyant avec fureur, comme si elle voulait me dévorer. C’était à mes pauvres petits chiens japonais, réfugiés derrière moi, que cette affreuse bête en voulait ; enfin, son maître, le propriétaire de l’auberge, l’a fait rentrer dans le devoir avec un gros bâton.

« Après avoir déjeuné et fait la sieste, j’ai été voir mon ennemie qu’on avait attachée : elle venait de mettre bas, ce qui expliquait son inquiétude et sa colère ; quelle superbe bête ! toute noire, marquée de feu, avec de longs poils soyeux et frisés ? cette race de chiens ressemble un peu à nos chiens des Pyrénées, mais ils ont le museau allongé comme des loups, et l’air très-féroce. »

Les voyageurs laissèrent passer la chaleur du jour (le thermomètre était monté à trente et un degrés centigrades), à la station de Julin, d’où ils repartirent seulement à trois heures de l’après-midi.

En quittant Julin, on prend la direction nord-nord-est pour gagner Kalgan, située à l’extrémité et au fond de la vallée qui relie cette ville à Suan-hoa-fou.

À mi-chemin on fut rejoint par une partie des gens de la légation française qu’on avait envoyés, trois jours avant le départ de Pékin, avec les charrettes et les provisions à Kalgan pour y préparer la traversée du désert.

Cependant en approchant de la ville on se croisait avec une foule compacte de voyageurs et de marchands.

Kalgan est entourée de cimetières ou plutôt de tombeaux. En Chine, il n’y a pas d’endroits affectés spécialement aux morts, et on se fait enterrer où on veut.

On chemine ainsi pendant une demi-heure au moins