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découverte, dit à Dieu : « Tue-moi, mais laisse vivre mon enfant. »

« Alors Dieu, pour l’éprouver, brandit le couteau qu’il tenait à la main et lui dit : « Tu vas mourir ; réfléchis donc avant que je ne frappe. — Frappe, » répondit l’homme. Dieu fit briller le poignard sans que l’homme murmurât ni ne frémît, mais il ne lui fit qu’une légère blessure au cou que tachèrent quelques gouttes de sang.

« Dieu prit ce sang et le répandit sur la terre qui engendra le riz. Il dit à l’homme de le sarcler trois fois avant sa maturité, de n’en récolter que les épis, de les sécher au soleil et de les conserver en grenier ; de les battre pour détacher les grains ; de les piler pour en séparer le son ; de ne manger que le grain et de livrer le son aux animaux domestiques.

« Puis il lui apprit à le cuire et à le manger.

« Puis Dieu dit à la femme : « L’homme sera le maître de l’enfant parce qu’il a préféré la vie de l’enfant à la sienne, et tu seras soumise. »

« C’est depuis ce temps que le père est le chef de la famille et que l’homme connaît le riz et le mange. »

Dans cette fable on croit reconnaître l’influence arabe et un souvenir du sacrifice d’Abraham ; le nom de Nossi-Ibrahim ou île d’Abraham, donné à la petite île de Sainte-Marie, prête quelque fondement à cette supposition.

Voici une autre fable :


LE SANGLIER ET LE CAÏMAN.


« Un sanglier de maraude suivait les bords escarpés d’une rivière où s’ébattait un énorme caïman en quête d’une proie. Averti par les grognements du sanglier, le caïman se dirige vivement de son côté :

« Salut, lui dit-il.

— Fiuaritria !… finaritria, répond le sanglier.

— Est-ce toi dont on parle tant sur la terre ? demande le caïman.

— C’est moi-même… et toi, serais-tu celui qui désole ces rives paisibles ? répond à son tour le sanglier.

— C’est moi-même, dit le caïman.

— Je voudrais bien essayer ta force…

— À ton aise, de suite si tu veux.

— Tu ne brilleras guère au bout de mes défenses.

— Prends garde à mes longues dents.

— Mais, dit le caïman, dis-moi donc un peu comment l’on t’appelle.

— Je m’appelle le père coupe lianes sans hache, fouille songes sans bêche, prince de la destruction, et toi, peux-tu me dire ton nom ?

— Je m’appelle celui qui ne gonfle pas dans l’eau ; donnez, il mange ; ne donnez pas, il mange quand même.

— C’est bien, mais quel est l’aîné de nous deux ?

— C’est moi, dit le caïman : car je suis le plus gros et le plus fort.

— Attends, nous allons voir.

« En disant ces mots le sanglier donne un coup de boutoir et fait écrouler une énorme motte de terre sur la tête du caïman, qui reste étourdi sur le coup.

« Tu es fort, dit-il après s’être remis ; mais à tontour attrape cela. »

« Et lançant au sanglier surpris toute une trombe d’eau, il l’envoya rouler loin de la rive.

« Je te reconnais pour mon aîné, s’écrie le sanglier en se relevant, et je brûle d’impatience de mesurer ma force avec toi.

— Descends donc, dit le caïman.

— Monte un peu, je descendrai.

— Soit. »

« D’un commun accord ils se dirigent sur une pointe de sable où le caïman n’avait de l’eau qu’à mi-corps.

« Le sanglier bondit alors, tourne autour de lui, évite sa gueule formidable, et saisissant l’instant favorable, il lui ouvre d’un coup de ses défenses, le ventre, de la tête à la queue.

« Le caïman rassemble ses dernières forces, et profitant du moment où le sanglier passe devant sa gueule béante, il le saisit par le cou, le rive avec ses dents et l’étrangle.

« Ils moururent tous deux, laissant indécise la question de savoir quel était le plus fort.

« On tient ces détails d’une chauve-souris présente au combat. »

Au dire des lettrés, cette fable dans la bouche d’un Malgache connaissant bien sa langue et doué d’une imagination brillante, a beaucoup de mouvement et prend le ton élevé de l’ode et de l’épopée.

Un autre apologue rappelle de loin « le renard et le corbeau. »


LA COULEUVRE ET LA GRENOUILLE.


« Une grenouille fut surprise en ses ébats par la couleuvre son ennemie ; la couleuvre la retenait par ses jambes de derrière.

« Es-tu contente, demanda la grenouille ?

— Contente, répondit la couleuvre en serrant les dents.

— Mais quand on est contente on ouvre la bouche et l’on prononce ainsi : contente ! (en malgache kavo).

— Contente, » dit la couleuvre en ouvrant la bouche.

« La grenouille se voyant dégagée lui donna des deux pattes sur le nez… et s’enfuit. »

La morale est que l’on peut se tirer de danger avec de la présence d’esprit.

Nous avons dit que le village de Nossi-Malaza, placé en dehors de la route de Tananarive et moins à portée de la griffe ova, jouissait d’une prospérité relative. Les hommes avaient un air de bien-être qui me charma, et lorsque je pénétrai dans la case du chef je fus étonné de l’abondance qui me semblait y régner.

La case contenait un lit garni de nattes fines. D’un côté se trouvaient empilés des vêtements, des pièces