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place et dans la position que lui a donnée la postulante, c’est que le destin exaucera ses vœux. Cette innocente pratique est généralement suivie à Madagascar, et l’on rencontre parfois de véritables pyramides composées de ces ex-votos.

L’exposition des enfants forme un affreux contraste avec ces mœurs malgaches si faciles et si douces, et surtout avec cet amour de la maternité. Lorsque ces petits êtres sont nés sous une influence mauvaise, ils sont abandonnés ; ou bien, l’on doit, pour racheter leur vie, leur faire subir d’épouvantables épreuves, presque toujours fatales à la plupart d’entre eux.

La circoncision se pratique à Madagascar ; ce doit encore être un souvenir des Arabes.

C’est, pour le Malgache, une importante cérémonie dont il perpétue la date au moyen d’un piquet de bois surmonté d’un nombre indéterminé de crânes de bœufs garnis de leurs cornes. Presque tous les villages possèdent un de ces petits monuments.

Chaque crane est un souvenir de fête ; il est de coutume, en effet, de tuer un bœuf le jour de la circoncision des enfants ; et comme ces gens sont pauvres, et qu’un bœuf à chaque opération serait une lourde dépense pour les familles, on attend que plusieurs enfants aient atteint l’âge voulu pour subir l’incision, afin d’opérer en bloc une fournée de jeunes Malgaches.

Le bœuf est du reste à Madagascar l’animal par excellence ; il est le présent le plus apprécié entre amis, le capital le plus facile à réaliser, le bien le plus solide du cultivateur. Sa chair, au moins pour certaines parties, est regardée comme sacrée. Ainsi, le roi seul et les grands ont le droit de manger la queue. La bosse, également morceau de choix, jouit d’une réputation proverbiale, et la politesse l’emploie comme une de ses plus douces formules. Le Malgache vous dira dans son doux parler : « Je vous souhaite éternellement une bosse de bœuf dans la bouche. »

Le bœuf est de toutes les fêtes et de toutes les douleurs ; à la naissance comme à la mort de ses maîtres, sa tête tombe en signe de deuil ou de réjouissance, et quand c’est un grand qu’il faut pleurer, les sacrifices deviennent des hécatombes.

À la mort de M. de Lastelle, négociant français en faveur à la cour Ova, on tua, dit-on, à Tananarive, huit cents bœufs : à la mort de Ranavalo, l’on en immola plus de trois mille ; le sol à partir du palais jusqu’au tombeau de la reine était littéralement couvert de cadavres sur lesquels il fallait passer.

Le culte des morts est ce qui m’a paru le trait le plus caractérisé de la religion malgache. Lorsqu’un Malgache succombe, les femmes poussent d’effroyables lamentations, arrachent leurs cheveux et se roulent avec désespoir ; les hommes restent calmes ; ils ont une danse funèbre pour la circonstance et la cérémonie commencée dans les larmes dégénère bientôt, grâce aux liqueurs fermentées, en une orgie sacrilége. Le corps néanmoins est porté avec respect jusqu’à sa dernière demeure. À Nossi-Malaza, le cimetière occupe la pointe nord de l’île ; la sépulture des chefs est séparée de celle des simples habitants. Toutes consistent en une écorce d’arbre dans laquelle on enveloppe le corps du défunt, après quoi le tout est enfermé dans un tronc de bois dur taillé en forme de cercueil. La piété des vivants entretient devant chaque tombe des offrandes expiatoires ; c’est une assiette pleine de riz, une coupe remplie de betza-betza, des pattes de poulets ou des plumes d’oiseaux ; les Malgaches semblent donc croire à l’existence de l’âme.

Si la douleur des Malgaches paraît violente, elle n’est point de longue durée ; ils considèrent la mort connue un fait inévitable ; ils oublient donc au plus vite, jugeant les larmes inutiles puisque le mal est sans remède. Néanmoins les parents portent rigoureusement le deuil du mort et ne peuvent en être relevés que par une cérémonie publique. Ce deuil dure un mois au plus, suivant la douleur de la famille ; il consiste à laisser croître sa chevelure. Dans ce cas la femme malgache ne la tresse, ni ne la peigne ; l’homme laisse croître sa barbe et ne se lave point pendant la durée du deuil. Hommes et femmes présentent, en cet état, le plus déplorable aspect.

Dans le nord, à la hauteur de Vohemar, chez les Antankars, les superstitions sont autres ; à un grand respect pour les morts, se joint la foi en la métempsycose. Suivant cette croyance, les âmes des chefs passeraient dans le corps des crocodiles ; le commun des mortels se transformerait simplement en chauves-souris.

Cette superstition explique l’incroyable multitude des crocodiles ; ils pullulent effectivement dans les centres où cette croyance est établie ; les rivières en sont infectées, et il est dangereux vers le soir d’en fréquenter les bords. Pendant la nuit, les habitants sont souvent forcés de barricader leurs cases pour se garantir des attaques du monstre.

De même que chez les Betsimisaracks, les lamentations et l’orgie se mêlent aux funérailles, mais on n’enterre point le cadavre ; placé sur un clayonnage de bois, on le momifie au moyen d’aromates et de sable-chaux fréquemment renouvelés. Après quelques jours de ce traitement, la décomposition des chairs produit un liquide putréfié qu’on recueille avec soin dans des vases placés au-dessous du clayonnage, et chaque assistant vient en mémoire du mort se frotter de ce liquide. Le cadavre desséché, les parents l’entourent de bandelettes et le portent au lieu des sépultures.

Cette horrible coutume engendre de terribles maladies de peau, gale, lèpre et autres affections incurables ; et cependant c’est à peine si l’intervention des blancs parvient, depuis peu de temps, à leur faire abandonner cette affreuse coutume.

Le Malgache est artiste de nature ; il a surtout des instincts littéraires remarquables ; je devrais dire il avait, car la conquête Ova, comme toutes les oppressions extrêmes, ne laisse après elle qu’abrutissement et désolation.