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ment qu’une longue bande de coton blanc, qu’il drape en artiste autour de ses reins ; son buste est élégant et bien musclé ; cet homme est beau, vigoureux, plein de grâce naturelle.

Les bambous, les mains et les chants de ses camarades composent au Malgache le même accompagnement primitif ; il commence. C’est d’abord la coupe du bois, le retentissement de la hache, la chute des arbres. Nous le suivons avec intérêt ; il se baisse, frappe, s’écarte, revient, nous comprenons sa pantomime ; viennent ensuite l’incendie de la forêt abattue, les pétillements de la flamme, les crépitations du bois ; il court, il souffle, il active l’action du feu, et tous ces bruits, il nous les rend saisissables au milieu du développement de l’action et sans rien perdre de la mesure. Mais il va piquer le riz ; il parcourt alors le cercle en bonds réguliers, égaux à la distance qui sépare chaque trou fait par le semeur ; nous assistons à la semaille, il enfouit le grain, le recouvre, puis, revenant au milieu du cercle, il semble adresser aux esprits une invocation suppliante.

Il faut avertir le lecteur qu’à Madagascar ainsi que dans certaines parties de l’Amérique, les naturels brûlent les forêts pour planter le riz ou le maïs ; ils ne sèment point, ils piquent le grain dans des trous, le recouvrent et attendent la moisson. À Madagascar, ils achèvent les semailles par la cérémonie invocatoire que voici. On place au milieu du terrain préparé et sur une feuille de ravenal, de la viande cuite, un peu d’argent et des bambous pleins de betza-betza. Le chef de famille, entouré des siens, s’avance alors, il invoque un à un les esprits des parents morts de leur mort naturelle et non par le tanguin (le nombre de ces esprits monte quelquefois à cinq ou six cents) ; enfin il termine ainsi sa prière : « Si j’ai fait quelque omission, je supplie ceux que j’ai oubliés de me pardonner, et je les prie de venir partager l’offrande que je fais aux bons, car je n’appelle que ceux-ci ; je compte sur l’appui de Zanahar-be (le grand esprit), pour m’aider, moi et les miens ; lui seul est mon maître. »

Nos applaudissements accompagnèrent le danseur ; une nouvelle distribution de rhum fut reçue avec acclamation, et M. Clément Laborde termina la fête par un pas de caractère qu’il dansait à Tananarive devant ce pauvre Radama II.


III


Yvondrou. — Ferdinand Fiche. — Betzimisaracks et Betanimènes. — Les lacs. — Ambavarano. — Le Kabar. — Hospitalité malgache. — Les jeunes filles.


Notre seconde expédition nous conduisit à Yvondrou ; Ferdinand Fiche fut notre hôte et voulut bien être notre guide.

Yvondrou est un village jadis considérable, situé à quinze kilomètres au sud de Tamatave sur la rivière du même nom ; ancienne résidence d’un prince malgache, il commande le débouché des lacs qui s’étendent à plus de quatre-vingts lieues dans le sud, et la route de Tananarive dont il forme la première étape.

Ferdinand Fiche est fils de Juliette et du prince Fiche, le plus puissant des anciens chefs de la côte ; élevé à Paris, ancien élève de l’École centrale, Ferdinand possède une instruction remarquable que l’on peut hardiment dire sans égale à Madagascar ; d’un caractère doux mais d’un extérieur un peu sombre, il faut le connaître pour l’apprécier ; je ne lui trouvai qu’un défaut, défaut rare s’il en fut, Ferdinand est trop modeste, il s’annule trop devant des étrangers qui pour la plupart n’ont pas le centième de sa valeur. Mme Ida Pfeiffer en fait un ours mal léché. Elle n’a point su démêler les étrangetés de cette nature timide, elle n’a point su comprendre de quel poids pesait sur cette âme endolorie l’inquiète et atroce tyrannie des Ovas, l’humiliation de ce joug de brute sur une intelligence élevée réduite à l’impuissance ; pour moi, j’ai trouvé Ferdinand Fiche le plus charmant des hommes.

Nos tacons nous déposèrent sur les bords de la petite baie qui fait pointe dans le village d’Yvondrou. Une collation nous attendait ; nous devions, le déjeuner achevé, nous embarquer dans des pirogues que Ferdinand tenait à notre disposition ; nous allions explorer les lacs, et nous comptions pousser jusqu’à Andevorande, le temps ne le permit pas.

Trois belles pirogues garnies de seize pagayeurs chacune nous attendaient dans la petite baie qui mouille le village ; Ferdinand les avait chargées d’un matériel complet nécessaire à une absence de plusieurs jours, c’est-à-dire de provisions de toutes sortes, vins de France, bière anglaise, champagne, etc. ; on le voit, notre nouvel ami faisait princièrement les choses. Nous avions des fusils pour la chasse, et les pirogues étaient recouvertes de tentes pour le mauvais temps. Le départ fut des plus gais ; nous partions charmés de l’aspect du pays, de l’aimable réception de notre hôte, pleins de l’attrayant espoir de recueillir à chaque pas de nouveaux documents et de curieuses études de mœurs sur cette contrée presque vierge aux yeux d’un explorateur européen.

La navigation en pirogue demande une certaine habitude ; l’esquif est si mobile, que chacun doit le mieux possible garder son équilibre ; le vent nous prenait en poupe, et le fleuve soulevé nous jetait la crête des vagues ; aussi une appréhension de quelques minutes est-elle un tribut bien naturel à cet exercice d’un nouveau genre ; nos Malgaches, du reste, nageaient avec un ensemble merveilleux, et nous filions comme le vent. Nous atteignîmes bientôt le milieu de la rivière, où Ferdinand nous fit remarquer une langue de terre rougeâtre, sur laquelle se dénoua l’un des petits drames guerriers de l’histoire moderne.

« Vous savez, nous dit notre guide, que les habitants de Madagascar portent le nom générique de Sakalaves ; quant à nous, populations de la côte, notre appellation de Betzimisarack, ainsi que l’indique ce mot composé, vient d’une vaste association de tribus, be (beaucoup), tzi (ne pas), misarack (divisés). Nous nommons Ambanivoules les Malgaches qui vivent à la campagne, les cultivateurs ou les paysans, et nous avons en outre les