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niveau du mépris vulgaire. Autrefois ces tribus s’exécraient et s’exterminaient, aujourd’hui elles se pillent et se bafouent. De temps en temps, une lutte d’homme à homme, à propos d’un dommage causé ou d’un vol commis au préjudice de l’un d’eux, témoigne seule de l’ancienne inimitié nationale qui les divise.

Cette indifférence guerrière et cette tendance prononcée à la paix, comme disent les grands journaux, que nous signalons chez les Conibos, peuvent être observées en ce moment chez la plupart des Peaux-Rouges de l’Amérique du Sud. La soif de haine, d’extermination, de pillage, dont leurs tribus furent si longtemps possédées, paraît s’être calmée depuis un demi-siècle et leur férocité proverbiale, épouvantail des moines, des habitants de la sierra et des voyageurs, n’est plus à cette heure qu’une morne apathie.

Cet état crépusculaire entre la barbarie proprement dite, qui n’est déjà plus, et la civilisation qui n’est pas encore, nous a vivement frappé pendant le temps que nous avons passé chez les peuplades du désert et ce serait ici le cas d’en discuter les conséquences ; mais comme notre notice ethnographique touche à sa fin, nous laisserons au lecteur le soin de décider sur la foi de ces lignes et de celles qui suivront, si l’atonie actuelle de l’homme américain doit être considérée comme un reflet de l’aube de sa civilisation à venir, ou comme un acheminement rapide vers sa destruction finale. Notre opinion à cet égard est déjà formée.


IDIOME CONIBO.
Dieu, Papa, Huchi. boiteux, yedtété.
diable, Yurima. voleur, yumuedsumis.
ciel, naï. peur, racqué.
soleil, vari. arbre, giuhi.
lune, uché. feuille, puei.
étoile, huirti. pierre, maca.
jour, nété. sable, mari.
nuit, yanta. charbon, chisté.
air, niuhé. fumée, cuhi.
pluie, hui. cendre, chimapu.
aube, nété-sabataï. maison, sobo, tapi.
crépuscule, yambué. pirogue, nunti.
eau, unpas. radeau, tappa.
feu, chi. coton, huasmué.
froid, madei. sucre, sanipoto.
homme, buebo. cacao, turampi.
femme, aïbo. canelle, chitani.
mari, buene. rocou, masé.
enfant, baqué. genipahua, nané.
tête, busca. manioc, adsa.
cheveu, bu. maïs, séqui.
visage, buemana. tabac, chica.
front, buetongo. fil, yuma.
sourcil, buesco. aiguille, sumu.
œil, bueru. épine, musa.
nez, recqui. hameçon, misquiti.
bouche, quebi. arc, canuti.
langue, ana. flèche, piha.
dent, seta. sac (vêtement), tari.
oreille, pabiqui. collier, tenté.
cou, pitaniti. bracelet, uncé.
poitrine, suchi. grelot, tununuati.
épaule, bapuesco. miroir, bueiseté.
bras, puya. amadou, hisca.
main, mueque. pot, quienti.
doigt, muebi. assiette, quencha.
ventre, puru. couteau, chichica.
nombril, pucutésé. corbeille, bunanti.
jambe, vitaï. corde, risbi.
mollet, vipucu. plume, rani.
os, sau. tapir, auha.
aveugle, buedta. ours, huiso.
serpent, runi. patate douce, cari.
cochon (pécari), yaüamaeüa. pistache de terre, tama.
singe, rino. banane, paranta.
chien, huchété. papaye, pucha.
vautour, schiqui. inga, shenna.
oscoq ituri buené. ananas, canca.
poule, ituri. un, atchoupré.
œuf de poule, ituri bachi. deux, rrabui.
dinde (sauvage), cosho. trois, *
perroquet, baüa. quatre, *
perruche, tumi. cinq, *[1]
pigeon, nubué. veux-tu ? aueque mibi.
perdrix, cuma. je veux, aueque evira.
poisson, huaca. quoi ? aueiqui.
araignée, rinacuo. comment t’ap- auequenaqui mi-
mouche, nabu. pelles-tu ? bi.
moustique, xio. oui, hiequi.
fourmi, gima. non, hiccama.
papillon, puempué.


En terminant cette très-longue notice sur les Conibos, hors-d’œuvre qu’il ne nous était pas possible de retrancher du menu du repas, reprenons, avec notre route, le fil de nos observations journalières. Le lecteur doit se souvenir, ou s’il avait oublié, nous le lui rappelons, que le territoire des Conibos qu’il a traversé du sud au nord s’étend de Paruitcha à la rive gauche du rio Capouciuia, comprenant environ soixante-dix lieues de rivière ; qu’au territoire de ces indigènes va succéder celui des Sipibos, qui s’étend de la rive droite du Capoucinia à la rivière Cosiabatay, occupant une étendue de cinquante-neuf lieues, au delà de laquelle commenceront les possessions des Indiens Schetibos répandus jusqu’à la confluence de l’Ucayali-Amazone et du Marañon.

Les dangers, les privations, les souffrances qui avaient signalé les commencements du voyage, étaient passés pour nous à l’état de rêve ; mais les moustiques, cette huitième plaie biblique, inconnue à l’auteur du Pentateuque, leur avaient succédé, et ces odieux insectes nous incommodaient à eux seuls autant que l’avaient fait ensemble les averses, les rapides, les naufrages, la faim et la misère. L’Ucayali, débarrassé d’obstacles, déroulait vers le nord son cours majestueux ; bien que la vitesse de ses courants se fût singulièrement ralentie, la pente de son lit, en certains endroits, était encore visible à l’œil. Sa profondeur, toujours très-variable, même après sa jonction avec le Pachitea, n’avait pas dépassé trois brasses en moyenne.

Au delà du rio Capoucinia, notre rivière prit une allure magistrale et, comme une gigantesque couleuvre, déroula des anneaux larges de deux lieues. Ses longues plages de sable, dont la monotonie avait fatigué nos regards, furent remplacées par des talus d’ocre ombragés de hautes forêts. Les îles s’y succédèrent à des intervalles plus rapprochés, et du milieu des touffes de balisiers qui formaient leur ceinture, s’élancèrent les troncs puissants des ficus, des bombax et des capirunas ou arbres à pirogue. Comme une compensation au supplice incessant que nous infligeaient les moustiques, nous eûmes, au milieu de ravissants paysages, des aubes, des crépuscules et des clairs de lune à faire bayer d’aise les

  1. Ces nombres cardinaux n’existent pas dans la langue des Conibos, comme nous l’avons dit dans notre monographie de ces indigènes. Avant de se servir de l’idiome des Quechuas, ils durent compter par duplication, comme la plupart des tribus de cette Amérique.