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septième siècle, désignent collectivement par le nom d’Antis, Simirinchis y Piros, toutes les tribus indigènes qui habitaient à cette époque la région du Pajonal.

Maintenant, à quelle cause faut-il attribuer la différence d’idiome qui caractérise aujourd’hui ces deux nations ? Est-ce à l’humeur aventureuse des Piros-Chontaquiros qui les poussa de bonne heure, par la voie de l’Apurimac et de l’Apu-Paro, chez les peuplades de l’Ucayali et du Tunguragua ou Haut-Marañon ? À quelle époque remonteraient alors ces premiers déplacements et combien de temps faut-il pour corrompre et dénaturer au contact d’autres idiomes les radicales et les vocables de l’idiome transandéen ? Dans l’état actuel de nos connaissances en ce qui touche aux nations précitées, il est difficile, sinon impossible, d’élucider complétement cette question. Toutefois, comme un ethnologue curieux ou un philologue patient pourrait avoir l’idée de s’essayer sur ce sujet ardu, nous avons réuni, à son intention, quelques mots de l’idiome chontaquiro, qui mis en regard des mots antis et quechuas que nous avons donnés, et de ceux appartenant à d’autres idiomes que nous donnerons plus tard, pourront, par la comparaison, jeter quelques lueurs sur le passé de ces populations nomades.


IDIOME CHONTAQUIRO.
Dieu, Dios[1]. feuille, timecsiri.
diable, mapuinchi. pierre, suctali.
ciel, itahuaer. sable, saté.
soleil, intiti. charbon, chichimè.
lune, cachiri. fumée, chichipia.
étoile, siri. cendre, chichipasè.
jour, tiajujuni. maison, panchi.
nuit, illachinu. pirogue, canoa
air, tampi. radeau, gipalo.
pluie, ina. coton, gojapujé
aube, quitaïchiti. sucre, pochoacsiri.
crépuscule, chupiniti. cacao, turampi.
eau, uné. cannelle, pitacsi.
feu, chichi. rocou, apisiri.
froid, cachiererenatoca- genipahua, iso.
na. manioc, timeca.
homme, geji. maïs, siti.
femme, sichuné. tabac, nictiti.
mari, naniri. fil, huapocsa.
enfant, tiri. aiguille, sapui.
tête, huejijua. épine, neti.
cheveu, huijihuesa. hameçon, yurimaiji.
visage, huegasi. arc, casiritua.
front, huijiruta. flèche, casiri.
sourcil, huesac. sac (vête-,
œil, huijarsajé. ment), usti.
nez, huisiri. collier, pectari.
bouche, huespè. bracelet, ririni.
langue, guenè. grelot, tasacji.
dent, huisè. miroir, nisaïti.
oreille, huijepè. amadou, ictépapé.
cou, quisitiachi. pot, imaté.
poitrine, huista. assiette, otapi.
épaule huitisi. couteau, chiqueti.
bras, huecano. corbeille, puraji.
main, huamianuta. corde, tumuti.
doigt, huimojè. plume, malluri.
ventre, huesati. danse, culla.
nombril, huipuro. tapir, sicma.
jambe, huisipa. ours, saji.
mollet, huipuricsi. serpent, amuini.
pied, huisiqui. cochon (pé-
os, ijapui. cari), illavi.
aveugle, yoctera. singe, peri.
boiteux, nimejeachi. chien, quiti.
voleur suri. vautour, maïri.
peur, inisnati. coq, achauripa-tiajini.
arbre, acmuinaja. poule, achauripa.
œuf de poule, achauripa-naji. banane, parianta.
dinde (sau- papaye, capallo.
vage), quiuli. inga, caapri.
perroquet, pullaro. ananas, atuti.
perruche, sutiti. un, suriti.
pigeon, nocaji. deux, apiri.
perdrix, camua. trois, noquiri.
poisson, capiripa. quatre, ticti.
araignée, macsi. cinq, tictisiri.
mouche, sisiri. veux-tu ? pariquijani.
moustique, llusla. je veux, parichiti.
fourmi, isiqui. quoi ? quejuani.
papillon, pipiro. comment t’ap- quejuani-picha.
patate douce, tipali. pelles-tu ?
pistache-de- oui, huegoni.
terre, cacahuali. non, huegonunuta.


Les versions des premiers missionnaires sont unanimes sur l’humeur indomptable et la férocité des Chontaquiros. De 1628 à 1641, on peut désigner par leurs noms dix-sept religieux percés de flèches ou assommés à coups de massue par ces farouches indigènes. Avec le temps, leur nature endiablée s’est fort adoucie. Tombés de la condition d’assassins à celle de filous vulgaires, ils paraissent aujourd’hui assez disposés à se faire ermites, si l’on en juge par leur projet de mission à Santa-Rosa.

Établis autrefois, comme nous l’avons dit, sur les deux rives du Xauja ou Mantaro et les quebradas limitrophes, les Chontaquiros ont déserté ce territoire pour venir se fixer sur la rive gauche de l’Apu-Paro, où de nos jours ils occupent, avec les deux points de Sipa et de Consaya que nous connaissons, l’intérieur des petites rivières de Sipahua, Sipa, Sinipa et Sicotcha[2]. Nous ne saurions dire pourquoi ils ont précisément fait choix de ces quatre rivières, parmi les quatorze affluents de l’Apu-Paro qui baignent leur territoire entre Bitiricaya et Paruitcha ; peut-être est-ce à cause de l’à-peu-près du nom qui donne à ces rivières, d’ailleurs sans importance, un air de famille.

Si les traits des Chontaquiros, comme on en peut juger par nos portraits de ces Indiens faits sur nature, révèlent une communauté d’origine avec les Antis ; si leurs vêtements et surtout leurs coutumes sont encore les mêmes que ceux de ces derniers, malgré la différence d’idiome qui les sépare, la ressemblance qu’ont entre elles les deux nations, est purement physique et ne s’étend pas au moral. Avec cette tendance au vol innée chez l’homme primitif[3], mais que les Chontaquiros ont cultivée, développée et poussée à l’extrême, il y a dans leurs natures fantasques, mutines, ennemies de toute contrainte, une séve, une exubérance, une loquacité, un besoin de bruit et d’action qui contrastent singulièrement avec le calme apathique, l’humeur douce et mélancolique des Antis, véritablement frères, sous ce rapport, des Quechuas de la Sierra. Le parallèle que nous établissons ici, n’est applicable, bien entendu, qu’aux Antis et aux Chontaquiros modernes, car on doit suppo-

  1. Ce nom, qu’ils donnent à l’Être suprême, n’appartient pas à leur langue. Ils le tiennent évidemment des missionnaires espagnols.
  2. Voir notre carte entre les huitième et neuvième degrés pour la situation de ces rivières.
  3. Si nous ne craignions d’être accusé de jouer sur les mots, nous dirions de ces Indiens, qu’au lieu d’une tendance au vol, que nous leur attribuons et qui nous paraît plus spécialement applicable à l’homme civilisé, ils éprouvent un besoin naturel de posséder ce qui leur plaît.