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(ce n’est pas à lui, c’est-à-dire à mon prétendu complice). Le nom lui en est resté.

Parmi d’autres noms de femmes, j’ai entendu les suivants : Melkamia (beauté), Poronèche (pureté), Beledèche (la préférée), ce qui, par parenthèse, n’est pas aimable pour la sœur qui ne s’appelle pas Beledèche ; Ouarkenèche (précieuse comme l’or ; c’est plus souvent un nom d’homme). Le second de ces noms est aussi fréquent que la vertu qu’il rappelle l’est peu, en Abyssinie, s’entend.


Guerre du Godjam. — Revers et barbarie. — Une députation de paysans.

Le 8 février au soir, l’empereur, qui partait pour le Godjam afin de soumettre le chef rebelle Tedla-Gualu, me fit donner l’option de retourner à Gafat ou à Foudar, ou de le suivre. Je tenais beaucoup, dans l’intérêt de ma mission, à rester près de lui le plus longtemps possible, et ma réponse, qui n’était pas douteuse, lui fit grand plaisir. Il me fit dire : « N’ayez aucune crainte pour cette campagne : je serai un mur solide entre les dangers et vous. » Je répondis à ce compliment oriental par un équivalent, et le négus ajouta : « J’ai appris que votre mule est fatiguée, et nous marchons vite : je vous en donnerai une qui pourra me suivre partout. » En effet, le lendemain matin, au moment où l’on allait se mettre en marche, on m’amena une mule gris perle fort belle même pour une mule d’Abyssinie, c’est-à-dire supérieure à tout ce que nous avons en France. Je n’eus que le temps de faire seller et de prendre place derrière le négus : on partait.

Panorama de Gouna vu de Samara (nord-ouest). — Dessin de A. de Bar d’après M. Lejean.

Cette campagne que je raconterai plus tard en détail, ne fut pas heureuse. Le premier district ennemi qu’on rencontra fut Arafa : c’était plutôt un district neutre, qui, depuis cinq ans que durait la révolte, avait oublié de payer l’impôt. Ce qu’apprenant, Tedla-Gualu avait envoyé dire aux gens d’Arafa : « Vous ne voulez rien payer à ce brigand de Kassa (ancien nom du négus), et vous avez bien raison : or, puisque vous n’êtes pas pour lui, vous êtes pour moi : donc, payez-moi vos impôts. » Les paysans trouvèrent la prétention fort plaisante, et le firent comprendre : bref, ils restèrent cinq ans sans payer.

Le négus lança sur eux des masses de cavalerie qui se mirent à brûler les villages et s’éparpillèrent pour piller. Les paysans, profitant de cette ineptie et appuyés par un corps de deux cents cavaliers de Tedla-Gualu, tombèrent sur les pillards et en firent (14 février) une boucherie assez méritée. Il est difficile d’avoir sur le moment des renseignements certains en pareil cas, mais j’entendis parler de cent fusils pris par l’ennemi, ce qui, vu la rareté des fusils dans l’armée du négus, indiquait un échec sérieux.

Ce revers exaspéra Théodore II, d’autant plus que les paysans du mont Miran avaient refusé d’obéir aux réquisitions de fourrage, et au mont Sagado, son cheval fa-