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riolé. Mais ces édifices ne nous disent rien de particulier ; il n’y a ni style pompéien, ni artistes de l’endroit portant un nom connu, ni singularité de goût et de mode ; en revanche un éclectisme facile, adoptant volontiers toutes les formes et trahissant la décadence ou la stérilité du temps. Je rappelle que la ville était en reconstruction lorsqu’elle fut détruite ; les restaurations maladroites accusent un certain penchant à ce luxe à bon marché, qui, chez nous, a remplacé l’art. Le stuc enjolive et défigure tout, l’être est sacrifié au paraître, l’élégance à cette avarice fastueuse qui se donne un faux air de profusion. Dans bien des endroits, les cannelures sont économiquement préservées par des baguettes qui les remplacent dans la partie inférieure des colonnes. La peinture se substitue à la sculpture, partout où elle peut la remplacer. Les chapiteaux affectent des formes bizarres, quelquefois réussies, mais tout à fait étrangères à la simplicité du grand art. Ajoutez des fautes qui choquent le premier regard (par exemple la décoration du temple de Mercure, où les panneaux se terminent alternativement en frontons et en arcades ; la façade du purgatoire, dans le temple d’Isis, où l’arcade elle-même, en coupant la corniche, s’engage hideusement dans le fronton). Je ne veux rien dire des fontaines, ni surtout des colonnes, hélas ! formées de coquillages et de mosaïque.

De pareilles fautes choquent l’œil des puristes ; n’oublions jamais cependant que nous sommes dans une petite ville dont la plus belle maison appartient à un marchand de vins. On n’y peut sincèrement chercher le Parthénon, ni même le Panthéon de Rome. Les architectes pompéiens travaillaient pour de simples bourgeois qui tenaient à posséder de jolies maisons, pas trop grandes ni trop chères, mais d’une riche apparence et d’un gaieté qui réjouit les yeux. Ces commerçants furent servis à souhait par d’habiles gens qui tiraient parti de tout, taillant des pièces par vingtaines dans un espace qui ne suffirait pas pour une grande salle de nos palais, profitant des inégalités, de tous les accidents du terrain pour étager leurs maisons en amphithéâtres, se multipliant en ingénieux subterfuges pour masquer le défaut d’alignement, et, somme toute, avec de faibles ressources et de petits moyens si l’on veut, réalisant pourtant ce que rêvaient les anciens, l’art dans la vie.

J’en atteste leurs peintures couvrant ces belles parois de stuc si soigneusement préparées, si fréquemment enduites du mortier le plus fin, si ingénieusement saupoudrées de poussière luisante, enfin tant de fois remaniées, repolies, rebattues avec des rouleaux de bois qu’elles finissaient par imiter et par valoir le marbre. Peintes à fresque ou à sec, l’encaustique ou par d’autres procédés, peu importe : c’est affaire aux techniciens de le décider[1]. Toujours est-il que ces décorations murales étaient une fête pour les yeux et le sont encore. Elles partageaient les murs en trois ou cinq panneaux, se développant entre un socle et une frise ; le socle était plus foncé, la frise plus claire, l’entre-deux plus vif (rouge etjaune, par exemple, la frise étant blanche et le socle noir). Dans les maisons simples, ces panneaux unis étaient partagés par de simples lignes ; puis, peu à peu, la maison s’enrichissant, ces lignes devenaient des cadres ornés, des guirlandes, des pilastres, bientôt des pavillons fantastiques où l’imagination du décorateur s’ébattait librement. Cependant les socles se couvraient de feuillages, les frises d’arabesques et les panneaux de peintures, simples d’abord : une fleur, un fruit, un paysage, bientôt une figure, puis un groupe, enfin de grands sujets historiques ou religieux qui couvraient parfois tout un pan de muraille et auxquels le socle et la frise servaient de pompeux encadrement. Ainsi la fantaisie du décorateur pouvait s’élever jusqu’à l’épopée (voy. p. 405).

Ces peintures seront éternellement étudiées ; elles nous donnent des documents précieux non-seulement sur l’art, mais sur tout ce qui regarde l’antiquité, les mœurs, les usages, les cérémonies, les costumes, la maison, les éléments, la nature. Pompéi n’est pas une galerie de tableaux, c’est plutôt un journal illustré du premier siècle. On y voit des paysages singuliers : une petite île au bord de l’eau, — un rivage du Nil, où un âne qui veut boire se penche vers la gueule d’un crocodile qu’il n’aperçoit pas, tandis que son maître s’efforce en vain de le tirer par la queue. Ce sont presque toujours des rochers au bord de l’eau, tantôt parsemés d’arbres, tantôt couverts de temples échelonnés, tantôt se dressant en âpres solitudes où se perd quelque pâtre avec son troupeau, quelquefois animés par une scène historique (Andromède et Persée). Viennent après les petits tableaux de nature morte : corbeilles de fruits, vases de fleurs, ustensiles de ménage, bottes de légumes, la collection de fournitures de bureau peinte dans la maison de Lucrétius (l’encrier, le stylet, le couteau à papier, les tablettes et une lettre pliée en forme de serviette avec l’adresse : à Marcus Lucrétius, flamine de Mars, décurion de Pompéi). Parfois ces peintures ont quelque velléité d’humour, il en est deux qui font pendant sur un mur et dont l’une montre un coq et une poule se prélassant en pleine vie, tandis que sur l’autre, le coq est attaché tristement ; son jour est venu.

Je ne dis rien des bouquets où les lis, les iris et les roses prédominent, ni des festons et des guirlandes, ni des bosquets entiers décorant les murs du jardin de

  1. Le docte Minervini a remarqué certaines différences dans les enduits qui couvrent les murs pompéiens. Il en a signalé de plus fins, où, selon lui, les anciens peignaient à fresque les compositions soignées, les paysages et les figures, tandis que les simples décorations étaient peintes à sec par des peintres inférieurs. Je rappelle en passant que plusieurs peintures, surtout les plus importantes, étaient rapportées et fixées aux parois par des crampons de fer ; on a même observé que le dos de ces tableaux n’adhérait point aux murs, excellente précaution contre l’humidité. Cet usage de scier et de déplacer les peintures murales était fort ancien : on sait que les riches Romains ornèrent leurs maisons d’œuvres d’art achetées ou volées en Grèce et l’on connait le fameux contrat de Mummius qui, s’arrangeant avec des marchands pour transporter à Rome les chefs-d’œuvre de Zeuxis et d’Apelles, stipula que s’ils se perdaient ou l’endommageaient en route, les marchands les feraient refaire à leurs frais.