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LES SOURCES DU NIL, JOURNAL D’UN VOYAGE DE DÉCOUVERTES,

PAR LE CAPITAINE SPEKE.
1860-1863. — TRADUCTION INÉDITE. — DESSINS EXÉCUTÉS D’APRÈS LES ILLUSTRATIONS ORIGINALES DE L’ÉDITION ANGLAISE.


I


De Londres à Zanzibar.

Le voyage dont j’offre ici la relation a eu pour but de prouver que le Victoria-N’yanza, découvert par moi le 30 juillet 1858, était bien, comme je l’avais conjecturé, la source et le point de départ du Nil-Blanc[1].

Malgré l’appui de la Société royale de géographie et de son savant président, sir Roderick Murchison, neuf longs mois s’écoulèrent avant que mes plans pour cette expédition eussent été approuvés, et le 27 avril 1860 seulement, je pus prendre passage sur la frégate à vapeur la Forte, qui se rendait au cap de Bonne-Espérance ; j’avais obtenu d’emmener avec moi le capitaine Grant, mon fidèle compagnon de guerre et de chasse sur la terre de l’Inde.

Le gouverneur du Cap, sir Georges Grey, nous accorda l’hospitalité la plus empressée et la plus sympathique. Voué jadis aux explorations géographiques, et portant encore les traces d’une blessure que lui fit jadis un sauvage d’Australie, il se plaisait à m’appeler « son fils » et à me prédire toute espèce de succès. Son infatigable bienveillance ne se borna pas à ces témoignages flatteurs ; il obtint du parlement local une allocation de 300 livres sterling, principalement destinée à l’achat des mules qui devaient porter nos bagages ; sur sa demande, le commandant en chef, lieutenant général Wynyard, voulut bien détacher dix volontaires appartenant aux carabiniers à cheval indigènes (Cape Mounted Rifle Corps), pour me servir d’escorte. Quand j’eus ainsi dix Hottentots et douze mules de plus, l’amiral Keppel me donna passage sur la Brisk, corvette à hélice qui, le 16 juillet, fit voile pour Zanzibar, où je pris terre enfin le 17 août. Cette capitale que j’avais laissée, seize mois auparavant, sous le coup d’une guerre prochaine et menacée en outre de discordes civiles, était parfaitement paisible, grâce à l’énergie que le gouvernement de Bombay avait mise à dompter les belliqueux instincts de l’iman de Mascate ; tandis que de son côté le consul anglais, le colonel Rigby, s’efforçait avec succès de paralyser l’insurrection projetée par les frères de Saïd-Majid, sultan de Zanzibar.

Ce prince, qui avait droit à notre première visite, nous reçut avec son affabilité ordinaire. Nos projets lui suggérèrent quelques observations passablement rebattues ; il s’étonnait de ce que, pour voir la Grande-Rivière sortir du Lac, je ne prenais pas la route la plus directe, à travers le pays des Masai et l’Ousoga[2]. Du reste, apprenant que je voulais visiter le Karagué, afin d’établir certains autres points très-essentiels, il m’offrit spontanément toute l’assistance dont il pourrait disposer.

Après le débarquement des Hottentots, des mules et du bagage, les préparatifs du départ commencèrent pour tout de bon. Ils consistaient à éprouver les sextants, régler les montres, examiner les compas, passer les thermomètres à l’eau bouillante, fabriquer les tentes et les bâts, s’approvisionner de perles, de drap et de fil d’archal, enrôler enfin les domestiques et les portefaix.

Notre ancien capitaine de caravane (kafila-bashi), le sheik Saïd-bin-Salem, fut de nouveau promu à ces hautes fonctions. Bombay et son frère Mabruki, les premiers à saluer mon arrivée, étaient pour moi des compagnons éprouvés. Le colonel Bigby me permit d’enrôler, parmi les marins qui montaient ordinairement sa chaloupe, quelques hommes de choix capables d’inculquer par leur exemple, au reste de ma troupe, certaines notions anglaises d’honneur et de dévouement. Bombay, mon factotum, détermina trois de ces vieux matelots — Baraka, Frij et Rahan — à faire campagne avec moi. — C’était là le noyau de ma troupe ; je les chargeai d’embaucher tous les Vouanguana ou affranchis, qui voudraient s’engager à me suivre jusqu’en Égypte, d’où je les renverrais à Zanzibar. Une année de paye leur serait comptée d’avance, et le reste à l’expiration de leur engagement. Tandis que s’opérait cette espèce de recrutement, le banian Ladha-Ramji, collecteur des douanes, avait ordre de réunir une centaine de pagazi (porte-balles vouanyamuézi), et de traiter avec eux, ainsi que font les marchands d’ivoire, pour le transport à Kazeh d’une charge de drap, de rassade et de fil de laiton.

Le sultan, lorsqu’il me vit prêt à partir, m’offrit pour traverser l’Ouzaramo une escorte de vingt-cinq Béloutchis sous les ordres d’un jémadar (lieutenant). Je l’acceptai plutôt à titre de passe officielle destinée à me protéger contre les mauvais tours des natifs, que pour ajouter à la force matérielle de notre expédition. Son Altesse nous avait également permis de monter sa corvette de vingt-deux canons, la Secundra-Shah, qui nous transporta le 25 à Bagamoyo, notre point de débarquement

  1. Voy. le tome II du Tour du Monde : Voyage aux grands lacs de L’Afrique orientale, p. 305 à 347.
  2. Le Masai, d’après les informations arabes, s’étend depuis la chaîne des Morobéhos jusqu’à la limite orientale des lacs N’yanza et Baringo ; sur la rive occidentale de ce dernier lac et au nord du N’yanza, on trouve, après avoir traversé les territoires d’Amara et d’Oukori, le district appelé Ousoga ; c’est à la limite de ce district et de l’Ouganda que le Nil-Blanc sort du lac par le déversoir auquel M. Speke a donné le nom de canal Napoléon.