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les hommes que tu as vus, le plus heureux ? » Solon parla longtemps de la fragilité du bonheur, et il ajouta : « Ô Crésus ! tu questionnes sur les affaires humaines un homme qui n’ignore pas combien la divinité est jalouse et se plaît à tout bouleverser… Tant qu’il n’est pas mort, on ne peut dire qu’un homme a été heureux… En toute chose il faut considérer la fin[1]. » La fin de Crésus et celle de Sardes ont, en effet, cruellement démenti les espérances dorées dont on eût cru pouvoir les bercer au moment où parlait Solon.

Crésus monte sur le trône lorsqu’a déjà pris fin la longue période de migrations, de luttes héroïques, de premières aspirations vers la civilisation et les arts qui constitue l’enfance de tous les peuples, et que marquèrent en Lydie ces épisodes à demi fabuleux où la poésie et la peinture ont puisé tant d’inspirations : Midas changeant en or l’eau du Pactole, mais impuissant à cacher ses oreilles d’âne ; Hercule filant aux pieds de la reine Omphale ; l’invisible Gygès ; le vaniteux Candaule.

Bas-relief dit de Sésostris, chaîne du Tmolus, près Nymphi (voy. p. 268).

Alyatte, père de Crésus, dans le cours d’un règne de cinquante-sept ans, avait assuré définitivement la suprématie de la Lydie sur les autres contrées de la Péninsule ; cependant les colonies grecques résistaient encore ; Crésus rendit Éphèse tributaire, Milet seule conserva son indépendance, et l’on peut dire, sans trop d’exagération, que la Lydie comprit alors tous les pays qui s’étendent entre le fleuve Halys et les trois mers.

Ce n’était pas assez ; redoutant l’ambition de Cyrus, Crésus voulut le prévenir et franchit l’Halys avec une nombreuse armée. Alors commença cette série de revers aussi éclatants que rapides, dont il faut lire dans Hérodote

  1. Hérodote, liv. I, 31 et 32.