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malade, ainsi qu’Edmonstone et Gibson. Il faut que je sois resté longtemps sans connaissance ; tout ce que je me rappelle, c’est qu’Arbuthnot et Monies nous rejoignirent après avoir chassé l’éléphant pendant deux jours ; Arbuthnot se disait très-malade ; il se laissa tomber en entrant dans la hutte et ne se releva plus : le lendemain il était mort. On se hâta de revenir, afin de soigner les autres ; mais Price mourut à quarante milles de Port-Natal. Monies, qui jusque-là n’avait rien eu, fut saisi tout à coup, et mourut le jour suivant. Mac Queen arriva jusqu’à Durban, où il expira quelques jours après, tandis qu’Hammond, Etty et Purver mouraient chez les Zoulous. Des neuf chasseurs que nous étions au départ, tous pleins de vigueur et d’espoir, nous revînmes seuls, Gibson et moi, et nous restâmes près d’un an avant de recouvrer la santé.


Seconde excursion au pays des Zoulous. — Visite au kraal de Panda. — Moment désagréable. — Réveillés par les lions. — Chasse magnifique.

Les forces ne me revinrent que sur les hauteurs de l’Inanda, où je passai deux ans à vendre aux Cafres les bestiaux que White se procurait chez les Zoulous. J’y ai fait des livraisons de quarante et quelques bœufs en un jour, et il m’est arrivé d’avoir plus de six cents têtes de gros bétail à la fois. Mais c’était une vie monotone, excédante, horrible. Il était rare que je pusse décider quelqu’un à venir me voir ; il fallait pour rester avec moi qu’on fût sans gîte et sans argent. Bref, la continuité de cette existence me parut si effrayante, que je repris mes courses aventureuses ; et le 15 juillet 1853, je repartais avec Gibson pour le pays des Zoulous. Quelques jours après nous avions rejoint White et ses compagnons, et le 12 du mois suivant, nous nous arrêtions à un mille du kraal de Panda, que nous avions le projet d’aller voir le lendemain.

Sa noire Majesté ne daigna pas paraître ; c’est par l’entremise de son premier ministre que nous lui adressâmes les couvertures et les grains de verre que nous lui apportions.

La pluie tomba du matin au soir pendant les journées suivantes ; on en profita pour raccommoder les chaussures, on se fit des souliers neufs, et l’on tua quelques buffles en attendant qu’il plût à Sa Majesté de nous recevoir.

Notre audience fut enfin fixée pour le 31 août ; mais, partis de bonne heure, nous arrivâmes trop tôt : le roi dormait encore, et ceux qui l’entouraient n’osaient pas troubler son sommeil. Au bout de quelques minutes on nous prie d’aller à la porte du kraal, attendre jusqu’à nouvel ordre. Mécontents, nous partons, mais c’est pour revenir au camp ; on met le feu aux cases de nos hommes, et nous poursuivons notre voyage.

À peine avons-nous fait deux milles, que nous voyons arriver l’un des capitaines du roi ; il est en fureur et jure par les os de Dingaan, de Chaka et d’autres guerriers célèbres, que si à l’instant même nous ne revenons pas au kraal, un impi (régiment de cinq cents hommes) fondra sur notre bande et nous tuera immédiatement. Il n’admet point de retard, nous montre un cours d’eau situé à vingt pas, et dit que le premier d’entre nous qui en franchira le bord donnera le signal de l’attaque.

Nous sommes en leur pouvoir, et, persuadés que le courage ne doit pas exclure la prudence, nous nous soumettons à l’ordre qui nous est donné. Au fond, Panda s’est toujours opposé au désir que nous avions de suivre cette ligne, et de la part de White, il y avait folie à choisir précisément la route qui nous était défendue.

De retour à la porte du kraal, nous passons entre une double haie, d’environ deux cents yards, composée d’hommes superbes, armés d’asségayes, de boucliers, de couteaux et de massues, pressés les uns contre les autres, et n’attendant qu’un signe de leur chef pour nous exterminer. C’est un moment d’émotion ; pour ma part, je le trouve fort déplaisant. Tous nos Cafres sont glacés d’effroi, chacun est silencieux ; le pauvre White paraît terriblement vexé ; je crois que s’il avait près de lui quelqu’un d’entre nous, il aimerait beaucoup mieux tirer sur ces gens-là, quitte à périr lui-même, que de voir des blancs réduits à plier devant un sauvage.

Cependant le premier ministre vient à notre rencontre ; c’est un homme gros et gras, un bon vivant ; l’affaire se termine à l’amiable. Mais il faut nous contenter de la chasse que Panda condescend à nous octroyer, et nous en tenir à la forêt de Slakatoula ; le vieux renard sait bien qu’on y trouve rarement un éléphant qui vaille la peine d’être tiré. Le 4 septembre, nous quittons donc la route afin de nous rendre à ce fourré de Slakatoula, où, forcés de nous ouvrir un chemin à coups de hache, nous avançons lentement.

Le 7, on nous annonce une bande d’éléphants ; je pars avec deux Cafres et deux Hottentots ; nous soupons d’un morceau de buffle, et couchons à la belle étoile ; nous dormons en dépit de quelques averses, nous chassons dès le lever du soleil, et nous revenons au camp, persuadés que nous avons été victimes d’une mystification.

Le 10 mars, nous nous trouvons en face de l’Omvelouse-Noir, que nous traversons le lendemain. On nous dit que les lions ont escaladé la nuit précédente la palissade du kraal. Plusieurs de nos camarades nous quittent pour affaires de commerce. Clifton et moi, nous restons au village au moins pour toute la semaine. Nous tuons des élans et des buffles ; la chasse est accidentée. Je suis plusieurs jours sans savoir dans quelle position me mettre, en raison de l’étendue des coups de soleil ; pas un atome de peau ne m’est resté sur le corps ; je n’ai jamais plus souffert.

Néanmoins, le temps passait vite ; il fallait non-seulement approvisionner notre propre table et rassasier nos Cafres, mais alimenter les indigènes qui venaient nous dire qu’ils avaient faim ; puis il y avait les bêtes fauves qui étaient souvent importunes. Le 27, un fusil-piége fut placé à l’intention des hyènes, qui nous empêchaient de dormir, et un vieux mâle reçut toute la charge en pleine tête.