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IV

Fouilles de Sour et de Saïda. — Les chercheurs d’or. — Les réfugiés italiens. — Condition des femmes. — Cérémonies publiques. — Les maronites.

Au mois de janvier les fouilles purent être entreprises à Saïda, où elles s’exécutèrent, en grande partie, sous la direction de M. le docteur Gaillardot. Saïda, la ville mère de toutes les cités phéniciennes qui se répandirent d’abord en Syrie et ensuite sur presque toutes les côtes de la Méditerranée, n’a conservé au-dessus du sol aucune trace de son premier âge. Les seules ruines qu’on y rencontre appartiennent à l’époque des croisades, au temps des Romains ou de la domination byzantine. Heureusement une plaine, située à l’est de la ville, renferme une de plus belles nécropoles que l’antiquité nous ait laissées. Là, près d’une caverne nommée Mugharet Ablout (caverne d’Apollon) fut trouvé, en 1855, le sarcophage d’un roi de Sidon, Eschmounazar, dont le couvercle portait la première et la plus belle inscription phénicienne découverte en Phénicie. C’est vers cette nécropole que l’on dirigea les plus grands efforts des travailleurs : elle fut presque entièrement déblayée, et l’on peut affirmer aujourd’hui qu’aucune autre inscription phénicienne ne s’y trouve. En revanche, ce travail ingrat fit découvrir un autre sarcophage plein d’intérêt. De la même forme que celui d’Eschmounazar, c’est-à-dire fait d’une gaîne que termine à son extrémité supérieure une tête énorme, il avait en outre deux bras sculptés en ronde bosse le long de cette gaîne et d’un admirable modelé. Plus loin et à l’est de la caverne, sous un champ, on rencontra en grand nombre des caves sépulcrales. Le roc y était travaillé comme l’intérieur d’une fourmilière.

« Les caveaux, dit M. Renan, sont de styles fort divers ; on peut les ranger en trois classes : 1o  caveaux rectangulaires, s’ouvrant à la surface du sol par un puits de trois ou quatre mètres de long sur un ou deux mètres de large. Au bas des deux petites faces de ce puits s’ouvrent deux portes rectangulaires aussi, de la même largeur que la petite face, donnant entrée à deux chambres encore rectangulaires dans toutes leurs dimensions, où étaient placés les sarcophages ; 2o  caveaux en voûte, offrant des niches latérales pour les sarcophages, et dans le haut ces soupiraux ronds creusés à la tarière qui nous ont tant préoccupés à Djébaïl ; 3o  caveaux peints et décorés selon le goût de l’époque romaine, avec des inscriptions grecques. »

Il n’est pas un seul de ces caveaux qui n’ait été fouillé, pas un de ces sarcophages qui ne porte des traces de violence. Les caveaux rectangulaires paraissent les plus anciens ; là, tout est fait uniquement pour le mort ; aucune préoccupation du passant, du visiteur ne se trahit au dehors. Les caveaux cintrés offrent surtout des sarcophages en terre cuite ou simplement de grands trous, ou l’on plaçait le cadavre ; le caveau peint, des sarcophages en forme de cuve, parfois ornés de riches sculptures ; le caveau rectangulaire, le sarcophage en forme de momie comme celui dont la découverte eut lieu en 1855. On en trouva sept de cette espèce. L’influence de l’Égypte, qu’on peut remarquer dans toute la Phénicie, est encore plus visible là que partout ailleurs. L’art phénicien, qui semble n’avoir jamais eu une grande originalité, s’inspira de l’art égyptien d’abord, de l’art grec et de l’art romain ensuite. Ces sarcophages paraissent appartenir à une époque moyenne, c’est-à-dire, comme l’écrivait M. Renan, « dans cette longue période qui s’étend de la fin de la domination assyrienne aux Séleucides. Ce fut pour la Phénicie une époque plus brillante en un sens que sa période autonome. Maîtres de toute la marine de Perse, les Phéniciens arrivèrent alors à un degré de richesse surprenant. Ce fut aussi l’époque où l’imitation de l’Égypte fut le plus en vogue. »

Les fouilles eurent un autre résultat : celui de mettre entièrement au jour une nécropole antique.

À Tyr, elles présentaient peut-être plus de difficultés que sur tout autre point : aucune ville, ayant rempli un grand rôle dans l’histoire, n’a laissé moins de traces que celle-ci ; le peu qu’on y trouve est sarrasin ou croisé : tous les monuments antiques ont l’un après l’autre disparu. Le dernier assaut qu’elle soutint en fit un immense amas de ruines, d’où l’on tira depuis, comme d’une carrière, des matériaux pour ses maisons actuelles et pour les constructions des villes plus heureuses de Saïda et de Saint-Jean-d’Acre. Les environs de Sour devaient offrir d’amples dédommagements : presque entièrement déserts depuis des siècles, ils ont pu conserver l’antiquité intacte. On croyait assez généralement que la nécropole de Tyr était placée à environ six lieues de la ville, à Adloun. Les tombeaux trouvés dans l’île même, et la multitude de caveaux que renferme la hauteur d’El-Awatin, située à l’est, renversent cette opinion. Les caveaux sont malheureusement ou vides ou détruits : l’île de Tyr, que l’on supposait aussi avoir été à demi submergée, n’a jamais dû être plus grande qu’aujourd’hui : la côte occidentale, qui offre le même niveau que dans les temps anciens, et les débris qu’on trouve sur le rivage l’attestent. Les villes, à l’époque phénicienne, occupaient des espaces où nous trouverions à peine aujourd’hui l’emplacement de quelques maisons.

Les fouilles exécutées au tombeau d’Hiram furent fructueuses. Le tombeau d’Hiram est un monument lourd, assez laid, formé de pierres colossales et remontant à une haute antiquité. On avait cru remarquer alentour les traces d’une nécropole. Bien qu’il s’y trouve quelques sarcophages, ce sont surtout des auges, des pressoirs, des meules que l’on y rencontre en grand nombre. Alors les cimetières n’étaient point, comme aujourd’hui, placés complétement à part : les maisons, les fermes s’adossaient aux tombes ; les demeures des morts étaient mêlées à celles des vivants. En dégageant quelques débris de peu d’importance, on mit au jour une mosaïque d’une admirable composition. C’était le pavé d’une petite église byzantine. « Une inscription, dit M. Renan, nous apprit bientôt que l’église fut consacrée à saint Christophe, sous