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peut. Les objets ne sont pas tarifés d’une manière bien exacte. L’interlocuteur est si aimable, son eau-de-vie si bonne, et d’ailleurs on n’en est pas à quelques sous de plus ou de moins.

Quand il n’a plus rien, le matelot serre chaleureusement la main de son ami et retourne à son bord en chantant. Ce n’est que le lendemain qu’il s’aperçoit de toutes les belles acquisitions qu’il a faites, et que, s’il est marié, il commence à se gratter l’oreille, en se demandant avec inquiétude ce qu’au retour sa femme va penser et dire.


IV

L’île de Miquelon. — Nouvelle Écosse. — Le Cap-Breton. — Sydney-Ville. — Sydney-Mines.

Le peu de choses que nous avions à faire étant terminé, le Gassendi leva l’ancre et partit pour Sydney. Nous franchîmes de nouveau l’entrée de la rade, et, avec un plaisir assez vif, nous perdîmes de vue le cap à l’Aigle et son front aussi chauve que celui d’un vautour. Nous aperçûmes un bout de Miquelon, et cela suffit pour la satisfaction des yeux. Bien que, sur la carte, cette île présente un développement plus considérable que Saint-Pierre, en réalité ce n’est rien. Elle n’est habitée que par un très-petit nombre de familles de pêcheurs. Elle n’a pas plus d’arbres que Saint-Pierre ; toutefois les herbages y poussent un peu mieux, et on y admire, si l’on veut y aller, une espèce de ferme. Dans la topographie locale, l’île est divisée en deux : la grande et la petite Miquelon, qu’une langue de sable réunit. Quand Saint-Pierre sera devenu une cité, peut-être Miquelon deviendra-t-elle un jardin. En attendant cet heureux jour, ce n’est rien.

Grâce au soleil resplendissant qui nous couvrait de sa lumière et un peu de sa chaleur, la journée se passa sur le pont dans un bien-être auquel on n’était plus accoutumé, et aux premières lueurs du jour, nous aperçûmes la côte du Cap-Breton, qui courait à notre gauche parallèlement à nous.

C’est une vaste plage s’élevant en amphithéâtre par des ondulations prolongées jusqu’à des hauteurs moyennes. Ce sont, à l’horizon, de grandes lignes harmonieuses qui unissent les montagnes aux collines, et se découpent noblement sur le ciel. Ce sont des forêts d’arbres très-différents, où dominent cependant les conifères ; ce sont des plaines d’une belle verdure, au milieu desquelles apparaissent quelquefois les toits d’une ferme.

Mais les fermes y sont rares, et quant à des villages, je ne suis pas assuré d’en avoir découvert un seul.

Nous poursuivions notre route en regardant ces belles rives, quand la mer se montra à nous, comme l’embouchure d’un vaste fleuve, entourée de rives, pénétrant par des bras d’une largeur majestueuse dans un horizon de verdure, de forêts, s’enfonçant en méandres doucement contournés sous les profondeurs des arbres.

Nous entrâmes dans le vaste golfe, et déjà nous apercevions distinctement les marais de Sydney-Mines, lorsque nous fîmes rencontre du Ténare, aviso à vapeur comme nous, et appartenant à la division, qui s’éloignait de la côte et allait s’enfoncer dans les terres pour gagner Sydney-Ville. M. G…, capitaine de frégate, commandant le Ténare, vint à bord du Gassendi, et m’offrit de quitter le navire et de passer à son bord pour arriver plus tôt à Sydney-Ville. Cette promenade me tenta, et au bout de quelques instants la baleinière du Ténare nous emmenait.

Je remontai avec cette nouvelle connaissance dans la direction de Sydney-Ville. Sur le rivage à droite, de jolies habitations de campagne d’un aspect gai et riant se montraient entourées de clôtures, et pareilles à des maisons d’opéra-comique, longeant une grande route étroite comme celles qu’on voit sur les bords du Rhin qui ressemblent à des allées de jardin. À gauche, une série de maisons ombragées d’arbres aboutissaient à la ville proprement dite, bâtie en bois, aussi propre et coquette que Saint-Pierre est sordide, alignée au cordeau de manière à former des rues larges comme des places publiques ; plusieurs églises se montraient au milieu, le tout combiné et arrangé dans le goût des joujoux de l’Allemagne. Enfin le long de l’eau une série de débarcadères en planches conduisant à des habitations ou à des magasins, le tout entremêlé d’arbres et de pelouses vertes, de façon à mêler la vie champêtre à la vie maritime de la manière la plus charmante.

Nous allâmes parcourir la ville. Du dehors elle paraît beaucoup plus grande qu’elle ne l’est en réalité. C’est plutôt une apparence de ville qu’une cité réelle. Les rues ont été tracées sur un plan qui n’était pas modeste. Les fondateurs semblent avoir eu en vue de ne pas gêner un développement comme celui de Boston ou de New-York, et rien n’annonce que les choses doivent en arriver là. J’ai remarqué peu de constructions récentes, et au contraire un certain nombre de demeures vides. L’herbe croît de toutes parts avec une exubérance qui prouve suffisamment que peu de pieds la foulent. Certains quartiers, je dirai même la plupart des quartiers, ne sont que des espaces clos de planches, attendant des acquéreurs et tout ce qui s’ensuit. On assure que la population, bien loin d’augmenter, diminue, et que la jeunesse des deux sexes n’a pas plutôt atteint l’âge du libre choix qu’elle émigre volontiers aux États-Unis.

Le lendemain je regagnai le Gassendi à Sydney-Mines.

Sydney-Mines, au point de vue du paysage, ressemble beaucoup à Sydney-Ville, dont quelques lieues la séparent ; mais, en tant que lieu habité, il paraît destiné à un avenir plus brillant. Le précieux combustible que son sol fournit avec une abondance extrême, attire sur ce point un grand nombre de navires qui viennent faire là des chargements destinés à la Nouvelle-Écosse et à Terre-Neuve. Beaucoup de petits débitants se sont établis sur ce point ainsi fréquenté, et l’exploitation des mines a également déterminé bon nombre d’ouvriers à venir avec leurs familles. Cette population, d’ailleurs si différente du monde maritime, n’habite pas précisément Sydney-Mines, mais forme à elle seule une espèce de village dans la proximité des excavations.

Je ne suis pas descendu dans les galeries, et ayant