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à Marseille des toilettes de Mme***, qui habite Alexandrie : on sait parfaitement sur tout le littoral quelle est la conduite de Mlle X… ou de Mlle Z… à Alexandrette ou à Trieste, et les navires qui passent se racontent de petits scandales entre deux vagues.

Il est temps de revenir à la mission scientifique de Phénicie. Voici, dans son rapport à l’Empereur, comment s’exprimait M. E. Renan, au sujet de Byblos[1] :

« Peu de points exercent, au premier coup d’œil, sur l’investigateur un attrait aussi fort que Djébel. Les innombrables fûts de colonnes de marbre et de granit, qui sont épars çà et là, un sol tourmenté, dont chaque coupe laisse voir des débris superposés de tous les âges, les légendes qui nous montrent Byblos comme la ville la plus ancienne du monde, les souvenirs mythiques de Cyniras, d’Adonis, d’Osiris ; les souvenirs plus historiques de la part que prirent les Giblites à la construction du temple de Salomon, l’importance de Byblos dans la renaissance phénicienne du temps des Antonins, le rôle religieux de premier ordre qu’elle joua à cette époque, l’ouvrage inappréciable de Philon de Byblos (Sanchoniathon), dont cette ville fut le berceau et est encore le commentaire, tout se réunit pour exciter la curiosité et donner l’envie de remuer des décombres qui doivent couvrir tant de secrets. »

Il suffit, en effet, de parcourir un peu la campagne qui avoisine Diébel pour découvrir à chaque pas la trace des anciens ages. Des débris à fleur de sol gisent épars dans les champs. Au sud de la ville s’étend une vaste nécropole. À l’est, les dernières ondulations de la montagne, les ravines étroites et profondes, par où les torrents descendent au printemps, sont semées de grottes sépulcrales, d’auges taillées dans le granit. Des signes mystérieux sont gravés sur les rochers ; une colline surtout, nommée l’Assoubah, est, depuis sa base jusqu’à son sommet, couverte de monuments de toutes sortes (stalles, auges, chambres, tombeaux, etc., etc.) : près de là s’ouvre une caverne immense, architecturée, qui, ainsi que l’a dit M. Renan, « pourrait fournir un excellent modèle au peintre qui voudrait représenter la Mahphelah d’Abraham. » Au nord, enfin, et sur le bord de la mer, on trouve encore quelques tombeaux, dont l’intérieur parait avoir été peint à l’époque grecque[2]. « Les sépultures ont naturellement attiré en première ligne mon attention. Aucun peuple n’y porta plus de grandeur et d’originalité que les Phéniciens. Les fortes images que les poëtes hébreux firent du Scheol ; les belles fictions d’Ézéchiel, pour représenter la descente aux enfers des morts illustres, trouvent ici, comme dans toutes les sépultures phéniciennes, carthaginoises et juives, leur juste application. — Les sépultures de Byblos affectent les formes les plus variées ; celles que je considère comme les plus anciennes se composent d’auges énormes, fermées par une dalle épaisse, gigantesque, affectant quelquefois la forme d’un prisme triangulaire, mais toujours brutes, sans inscriptions et sans ornements. — Je ne connais rien de plus frappant que ces grottes désolées, où l’œuvre lente des stalactites a recouvert les dévastations des siècles. Quelques caveaux offrent une particularité étrange : de nombreux soupiraux cylindriques creusés dans le roc avec un soin extrême, souvent sur de grandes épaisseurs, aboutissent à la voûte, et portent à l’intérieur l’air et la lumière. » — Les nécropoles ne furent pas seules fouillées : les efforts des travailleurs se portèrent aussi aux environs de la tour qui domine la ville : « Une construction phénicienne, d’un haut intérêt, a été le fruit des fouilles que nous avons fait exécuter sur la colline où est situé le château ; elle se compose d’une base carrée, massive, en pierres colossales… Une série de détails, maintenant hors de place, permettent de recomposer en partie l’édifice primitif. »

Une foule de débris cependant, que la destruction même avait conservés, se retrouvaient à droite et à gauche dans les murailles des maisons, sur les routes, au-dessus de la porte des églises.

Autrefois, centre du culte d’Adonis, Byblos voyait autour d’elle, sur chacun des mamelons qui descendent tumultueusement du Liban jusqu’à la Méditerranée, des sanctuaires ombragés de caroubiers et de cactus ; c’étaient des temples de toutes formes, de toutes grandeurs, quelquefois de simples autels. Couronnant et, pour ainsi dire, complétant ces cônes de verdure, ils s’étageaient dans la montagne entre les neiges des hauts sommets et le bleu profond de la mer. Des chapelles chrétiennes les ont aujourd’hui remplacés. Faites de ruines, elles se cachent encore à l’ombre d’un arbre dont les ancêtres ont abrité les dieux des anciens. Souvent les mêmes cérémonies qui honoraient les divinités païennes se renouvellent pour les saints et les prophètes. Aux portes de ces chapelles, enclavées dans les autels placés sous leur protection, on retrouve encore quelques pierres portant des inscriptions en l’honneur de Jupiter, de Vénus ou d’Astarté[3]. « L’un des côtés de l’élégant baptistère de Djébel est formé par une pierre énorme qui a servi de fronton monolithe à un temple dans le style égypto-phénicien. On y retrouve tous les emblèmes communs à l’Égypte et à la Phénicie, dont parle Philon de Byblos (globe ailé environné de serpents, etc., etc.). »

Des monuments lourds et gauches, des blocs de granit péniblement superposés, les symboles souvent incompréhensibles qu’on retrouve sur des pierres frustes, les caveaux profonds aujourd’hui mutilés, les auges semées au hasard dans les sites les plus inaccessibles de la montagne, sont à peu près les seules traces que les Phéniciens aient laissées d’eux-mêmes.

Leurs édifices, comme leurs tombeaux, sont muets[4]. « Les anciens Giblites, on n’en peut douter, écrivaient très-peu sur la pierre ; les tombeaux de Djébel, qui remontent le plus certainement à l’époque cananéenne,

  1. Pour tout ce qui concerne les travaux de la mission de Phénicie, j’ai cité, autant que possible, les rapports de M. Renan à l’Empereur, et je pense que les lecteurs m’en sauront gré.
  2. Voy. le rapport de M. Renan à l’Empereur.
  3. Voy. le rapport de M. Renan.
  4. Voy. le rapport de M. Renan.