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gnes du haut et du bas pays ; le héros victorieux dont le nom frappe de terreur toutes les nations ; l’étoile brillante qui a porté la guerre dans les contrées étrangères, et, sous les auspices de Bel, le dieu qui n’a pas d’égal, a soumis au joug les ennemis d’Assour. »

Après ce préambule, Tiglath-Pilésèr commence la longue énumération de ses expéditions et de ses victoires, année par année, campagne par campagne. Un très-grand nombre de pays, de cantons et de peuples ou de tribus sont nommés, les uns situés au nord et au nord-ouest dans la haute Arménie, les autres à l’ouest, jusque vers les confins de l’Asie Mineure (les deux pays extrêmes dans cette direction sont la terre de Komoukha, qui paraît devoir répondre à la Comagène, et la terre des Koumani ou Khamãna, qui doit sûrement se chercher dans le nord de la Syrie, vers le mont Amanus) ; d’autres au sud-ouest, jusqu’à la grande mer (la Méditerranée), d’autres enfin à l’orient, vers les cantons de montagnes qui séparaient l’Assyrie de la Médie. Dans plusieurs de ses expéditions, on suit le roi à travers le pays de Nahiri (le Naharaïm des Hébreux, c’est-à-dire la région des rivières, ou Mésopotamie) et la ville de Karkamich, sur l’Euphrate, jusqu’aux plaines d’Aram (la haute Syrie) et à la contrée des Khatti (les Khétim de la Bible, c’est-à-dire les tribus syriennes des montagnes et de la côte). La dernière expédition est dirigée contre le pays de Muzri (le Mizraïm des Hébreux, l’Égypte), qui est vaincu et conquis. C’était une réaction des pays assyriens contre la domination des rois d’Égypte que les contrées de l’Euphrate avaient subie durant plusieurs siècles.

Tiglath-Pilésèr résume alors les victoires qui ont signalé les cinq premières années de son règne. Il s’est rendu maître de quarante-deux pays et de leurs rois, « depuis la région qui est au delà du Zab (un affluent oriental du Tigre), avec ses plaines, ses forêts et ses montagnes, jusqu’à la contrée qui est au delà de l’Euphrate, au pays des Khatti et à la mer Supérieure du couchant. » Le roi dit ensuite quels temples et quels palais il a construits ou réparés, quels canaux il a ouverts pour l’irrigation du pays, de quels animaux utiles, de quels arbres nouveaux il a doté l’Assyrie. Ces soins révèlent le prince habile et prévoyant, en même temps que les victoires montrent le roi guerrier. Un nom hier encore inconnu réclame maintenant une place éminente dans les fastes du monde antique.

Avec Tiglath-Pilésèr commence une période d’environ trois siècles, qui fut l’époque la plus brillante de la monarchie assyrienne. C’est alors que l’empire s’élève à l’apogée de sa puissance. Nous avons déjà fait remarquer — et il est nécessaire d’insister sur ce fait capital — qu’aucun des monuments exhumés des sites assyriens n’est antérieur à cette glorieuse période. Les deux plus anciens jusqu’à présent connus, le palais nord-ouest de Nimroûd et le palais du centre, furent élevés le premier par Sardanapal, fils du Tiglath-Pilésèr de l’inscription de Kalah-Charghât, le second par Salmanasar, fils de Sardanapal. Les palais exhumés à Khorsabad et à Koïoundjik sont plus récents d’un siècle et demi et de deux siècles.

Les monuments de Salmanasar, dans le palais du centre, sont d’un puissant intérêt. Le plus important est la stèle en basalte noir que nous avons déjà mentionnée, et dont un moulage en plâtre fait partie de la collection du Louvre, monument qui contient, gravée sur ses quatre faces, la chronique des trente et une premières années du roi, accompagnée de plusieurs rangées de curieux bas-reliefs représentant les tributs des contrées étrangères que reçoit le monarque conquérant. Les expéditions, racontées année par année dans l’inscription, sont dirigées, comme celles de Tiglath-Pilésèr, tantôt au nord-ouest et au nord, dans la contrée d’Hararat (sans doute l’Arménie), tantôt à l’orient et au sud-est vers la Médie et les tribus montagnardes de la région intermédiaire, tantôt à l’ouest vers les pays syriens. C’est surtout dans cette dernière direction qu’ont lieu les expéditions les plus fréquentes.

Traduisons, d’après M. Rawlinson, un seul paragraphe à titre de spécimen de cet important document épigraphique.

« Dans la onzième année (de mon règne), dit le roi, je sortis de la ville de Niniveh, et pour la deuxième fois je traversai l’Euphrate. Je pris les quatre-vingt-sept villes appartenant à Araloura, et cent villes appartenant à Arama, et je les livrai au pillage. Je réglai ce qui regardait le pays de Khamâna, et, passant par le pays de Yéri, je descendis aux villes de Hamath, et je pris la ville d’Esdimak avec quatre-vingt-neuf villes qui en dépendent, exterminant les ennemis d’Assour et enlevant les trésors. Hémithra, roi d’Atesch, Arhouléna, roi de Hamath, et les douze rois des Khéta, qui étaient en alliance avec eux, se levèrent contre moi et réunirent leurs forces. Je les combattis, je les défis, je leur tuai dix mille de leurs hommes, et j’emmenai en esclavage leurs capitaines, leurs chefs et leurs hommes de guerre. Je montai ensuite à la ville de Habbaril, une des cités principales appartenant à Arama (le roi d’Arménie), et j’y reçus le tribut de Barbaranda, roi de Chétina, en or, en argent, en chevaux, en moutons, en bœufs, etc. Je revins au pays de Khamâna, où je fondai des palais et des villes. »

Le Salmanasar qui nous raconte ici ses faits d’armes vivait dans la première moitié du neuvième siècle, vers 860 ou 870 probablement, pour prendre une époque moyenne.

Quiconque est quelque peu familier avec la géographie classique de l’Asie occidentale et avec la géographie des livres saints, peut commenter ce texte, au moins dans ses parties essentielles, et en apprécier la richesse. On peut juger quelle moisson d’informations sortira de ces documents pour la reconstitution politique et la géographie de l’Asie antérieure, quand les derniers progrès des études cunéiformes leur auront donné (ce qui ne saurait être bien éloigné) la certitude absolue dont les matériaux de l’histoire veulent avant tout être accompagnés, dans le détail des faits et des noms aussi bien que dans l’ensemble.