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La végétation de ce côté de l’île a beaucoup de rapport avec celle de Madagascar, et le ravenal (mania spectosa) y pousse presque partout.

Cet arbre atteint jusqu’à trente pieds de haut. Son sommet est couronné d’un groupe de branches en forme d’éventail. Le tronc est d’une substance cellulaire douce, les fleurs sont blanches, et les fruits, qui ont la forme d’une petite banane, sont secs et on ne peut les manger. On lui a donné aussi le nom d’arbre du voyageur, parce qu’en pratiquant une incision dans l’endroit où naissent ses branches, il en coule beaucoup d’eau. Il nous a paru que, pour s’expliquer ce bienfait naturel, il suffisait de remarquer comment se forment, dans les embranchements, des cavités où l’eau de pluie séjourne ainsi que dans un véritable réservoir.

J’ai goûté plusieurs fois de cette eau et l’ai toujours trouvée très-mauvaise, par suite sans doute des parties végétales qui s’y étaient mélangées.

On trouve encore dans cette partie du pays une espèce de cannelle qui forme de jolis buissons sur le bord des bois, et une petite plante, la sensitive, qui, comme on sait, dès qu’on la touche se referme sur elle-même. Un peu plus loin, sur la magnifique propriété de Ferney, on voit l’embouchure de la rivière Champagne encombrée d’énormes mangliers. Cet arbre croît généralement près de la mer ; ses branches et ses racines serpentent sur le sable, et s’y entrelacent de telle sorte qu’il est impossible d’y débarquer. Son bois rouge donne une mauvaise teinture.

Un soir, j’entendis à Beau-Vallon un noir jouer d’un petit instrument qu’il faisait vibrer dans sa bouche : ce fut la seule fois que j’eus occasion d’entendre la musique des Mozambiques, qui autrefois chantaient et dansaient souvent au son du bobre[1] et du tam-tam[2]. La musique du Malgache est mélancolique, sa danse est grave, sérieuse, et son instrument favori, le marrow-vané (harpe malgache), le rend triste en lui rappelant les souvenirs de son enfance. Ce marrow-vané est une lyre cylindrique dont les cordes, au nombre de sept ou huit, sont distribuées autour d’un tronçon ou d’une petite colonne de bambou ; elles sont formées de filets d’écorce, détachés du cylindre lui-même et tendus par des chevalets placés près des nœuds qui sont à l’un et à l’autre bout. Quant aux Indiens, ils chantent plutôt dans la douleur que dans la joie. On ne voit plus, quand la nuit tombe, ces groupes de noirs qui se réunissaient autour d’un grand feu et qui, dans l’intervalle de leurs danses et de leurs gambades les plus pittoresques, écoutaient en silence quelque histoire d’homme assassiné, dont le gniang revenait tous les sous, et dont on ne pouvait se préserver qu’en portant des grigris. Maintenant, si on entre dans la case d’un Indien, on ne voit que des murs sales, des vêtements déguenillés, et au milieu un tas de cendres qui indique l’endroit où il fait cuire sa nourriture. Point de musique, point de gaieté ; l’Indien est d’une nature sombre et il est généralement peu communicatif. Il vit là dans la compagnie de sa femme et de quelques animaux qui grouillent autour de lui ; parfaitement à l’aise au milieu d’une odeur insupportable qui vous prend à la gorge et vous force bientôt à sortir de la case.

Avant de quitter le Grand-Port, notons, d’après M. d’Unienville, que les excavations artificielles qui s’y trouvent démontrent avec certitude un grand bouleversement occasionné par des feux souterrains. Plusieurs de ces excavations, telles que le trou Fanchon et le trou Magnien, communiquent, dit-on, avec la mer. On a tenté d’étudier les voûtes des souterrains et les communications de ces trous ; mais ces essais n’ont pas pu donner de résultats satisfaisants, le manque d’air ayant fait éteindre les lumières à une certaine distance. M. Charron a passé vingt-quatre heures dans le labyrinthe de ces cavernes et s’est trouvé fort heureux de retrouver l’ouverture par laquelle il était descendu, et qui peut avoir une vingtaine de pieds de profondeur.

La route de Beau-Vallon au Port-Louis traverse d’abord les plaines Magnien, où se trouve le village de ce nom. Plus loin, près du Hangar, qui est la dernière habitation en revenant de Mahébourg, on rencontre à gauche du chemin une jolie petite cascade sous laquelle est creusée une charmante piscine naturelle. Les bords en sont couverts de menthe qu’on y a plantée autrefois et qui s’est répandue maintenant de tous les côtés. Les fougères arborescentes sont aussi très-nombreuses dans ce quartier, et leurs feuilles d’un vert pâle, formant de véritables parasols de feuillage, donnent au paysage un caractère très-original. Leurs troncs, d’une couleur noire et dont quelques-uns acquièrent jusqu’à vingt-cinq pieds d’élévation, ont peu de ténacité ; mais comme ils ne sont pas attaqués par les insectes, on les emploie souvent comme palissades.

Le terrain, qui s’élève graduellement à partir de Mahébourg, forme une éminence haute de deux mille pieds au-dessus de la mer, d’où l’on aperçoit une grande partie de l’île, se déroulant au loin avec son immense nappe de champs de cannes.

À droite et à gauche, la route est couverte de bois et bordée de huttes où vivent des charbonniers et des bûcherons. Ces gens sont bien rétribués pour leur travail, et rien de plus juste, car, l’atmosphère étant toujours humide dans cette partie de l’île, leur métier est des plus pénibles. Durant la saison sèche, ils se nourrissent de tandrecs[3] et de singes ; ils sont très-friands de la chair de ces derniers animaux, ainsi que des moutoucks[4] et des larves de mouches jaunes ; pendant tout le temps des pluies, ils vivent de poissons.

En descendant du point culminant de cette montée, on arrive près de l’ancienne route du Grand-Port, et en marchant à droite pendant un quart de lieue on en-

  1. Le bobre est une espèce de guitare à une corde, tendue par un arc attaché à une calebasse.
  2. Le tam-tam est une sorte de tambour qu’on fait résonner avec les mains.
  3. Le tandrec est l’erinaceus caudatus de Buffon ; c’est un petit animal qui ressemble un peu à la taupe.
  4. Espèces d’insectes qui rongent l’intérieur des arbres.