Page:Le Tour du monde - 06.djvu/291

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aller s’établir dans le pays à la place des Romains. (Si l’on en croit les étymologistes, le nom de la Catalogne ne serait que la corruption de Gothalunia.) Et lorsqu’au huitième siècle les Goths furent, à leur tour, chassés par les Arabes, ces derniers, traversant le col de Pertus, se ruèrent sur la France, et ne furent arrêtés par Charles Martel qu’entre Poitiers et Tours.

Le col de Pertus. — Dessin de G. Doré.

Louis XIV, pour s’assurer la possession de la province conquise par son prédécesseur, fit construire le château de Bellegarde, que nous apercevons au sommet d’un pic élevé : ce château domine toute la contrée, et commande le passage entre la France et l’Espagne.

La Junquera est le premier village où l’on s’arrête après avoir passé la frontière : nos passe-ports y furent enrichis de nouveaux visa, et une station de deux heures nous permit de faire ample connaissance avec les douaniers espagnols : ils ne diffèrent des nôtres que par le costume et par le nom plus ronflant de carabineros : rendons justice à leur zèle : nos malles furent consciencieusement vidées de fond en comble, mais ce fut bien autre chose pour celles d’une dame qui, pendant cette longue opération, avait montré beaucoup moins de stoïcisme que nous.

Nous voici donc en Espagne, ou pour mieux dire en Catalogne, car les Catalans ne se considèrent pas comme Espagnols ; ils ont leur dialecte particulier, qui se rapproche beaucoup de la langue limousine du moyen âge ; ce dialecte a ses grammaires et ses dictionnaires ; il a aussi ses poëtes. Les Catalans passent en Espagne pour très-industrieux et âpres au travail. Dans plusieurs provinces on dit : Vamos al Catalan (allons chez le Catalan), quand on parle d’aller dans un magasin quelconque. Suivant un autre proverbe, si vous donnez des pierres à un Catalan, il saura en extraire du pain :

Dicen que los Catalanes
De la piedras sacan panes.

Le pays qu’on traverse après la Junquera ressemble à une immense forêt d’oliviers, formant de grandes masses grisâtres ; bientôt nous entrions dans Figueras, une des places les plus fortes de l’Espagne, qui fut prise et reprise pendant la guerre de l’indépendance. C’est là que, dans le parador de las diligencias, nous eûmes un avant-goût de la fameuse cuisine espagnole. La Péninsule qui compte bien des grands hommes n’a pas produit un grand cuisinier, et elle attend toujours son Vatel. Sancho Panza, qui était d’un naturel gourmand, se vantait de passer fort bien une semaine entière avec une poignée de noix ou de glands ; quant à nous, peu préoccupés de la question gastronomique, nous sommes décidés à prendre le temps comme il vient, suivant l’exemple de ce grand philosophe.

Gerona, qu’on traverse après Figueras, est également une place très-forte, qui a subi des siéges acharnés. On a fait, au sujet de ces deux villes, une remarque assez juste : c’est qu’elles ne servent pas beaucoup à l’Espagne, puisqu’elles ne lui appartiennent qu’en temps de paix ; en effet, toutes les fois qu’une guerre a éclaté, elles n’ont pas tardé à tomber au pouvoir de la France. Gerona est une vieille ville très-curieuse à visiter ; souvent, en parcourant ses rues étroites et tortueuses, on découvre quelques façades de maisons du moyen âge